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LES ENNEMIS DE JÉSUS
ou le REFUS DE LA 
CONNAISSANCE DE DIEU

Ennemis de Jésus refusent la connaissance de Dieu et veulent le lapider

Les juifs, refusant Jésus, prirent des pierres pour le lapider,  gouache de James Tissot*, vers 1886-1894

De tout temps, Jésus, qui apporte la liberté, a essuyé des refus. Il en a d'ailleurs souffert, regrettant que sa présence et son offre soient rejetées par certains parmi les siens, notamment les Pharisiens, puis il en est mort, avant de ressusciter, les plans de Dieu s'exécutant toujours.

Vivant depuis 21 siècles, il continue à offrir à chacun son amour, sa présence, son aide et, via son œuvre de rédemption (rachat), une vie éternelle après la mort, mais le monde occidental actuel est dans une phase de profonde apostasie, les hommes de l'Occident étant devenus les pharisiens d'aujourd'hui, tandis que le nombre de conversions au christianisme ailleurs dans le monde est en augmentation, notamment dans la sphère musulmane (lire sur ce site Conversions et Spécial musulmans : ils ont rencontré le Christ)

Sommaire de la page

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  • James Tissot, du refus de Dieu à la conversion

  • Jésus, l'Éternel refusé

  • Les nouvelles valeurs du XXIe siècle : le Bien devenu nul, le Mal devenu top

  • Évangiles commentés sur le thème du refus de Dieu par les ennemis de Jésus et par les hommes

James Tissot, du refus de Dieu à la conversion

Autoportrait James Tissot

Ce peintre français, en fait nommé Jacques Joseph Tissot, a vécu à Paris, puis à Londres, ses peintures ayant un certain succès. Il vit une liaison hors mariage, ce qui est inacceptable pour la société victorienne d'alors et est une sorte de refus des commandements de Dieu. Sa maîtresse, frappée par la tuberculose, se suicide. Il revient alors à Paris.

 

Quelque temps après, il vit une conversion : en 1888, alors qu'il étudie une toile dans l'église Saint-Sulpice de Paris pour saisir l'atmosphère de celle-ci, James Tissot a une révélation religieuse qui le conduit à consacrer la fin de sa vie à l'illustration de la Bible.

 

Dans ce but, il voyage (en 1886, 1889 et 1896) au Moyen-Orient, en Palestine et à Jérusalem en particulier, pour découvrir les paysages et les habitants dont il crayonne les portraits. Ses séries de 365 gouaches illustrant la vie du Christ ont été accueillies avec enthousiasme lors des expositions de Paris (1894-1895), Londres (1896) et New York (1898-1899), avant d'être acquises par le Brooklyn Museum en 1900. 

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Voir ici toutes les toiles de James Tissot concernant la vie de Jésus.

James Tissot a aussi peint de très nombreuses scènes de l'Ancien Testament. On peut en voir une partie ici.

Jésus l'Éternel refusé

Envoyé par Dieu pour, notamment, accomplir le message de l'Ancien Testament et en rénover ce que les autorités religieuses avaient, au fil des siècles, travesti, alourdi (les rabbins avaient notamment rajouté un nombre considérable de traditions orales), dégénéré, exagéré dans le majestueux et incroyable message d'amour, d'espérance et de salut de Dieu, Jésus a été honni par les responsables religieux juifs de son époque, qui, malgré ce message radieux et les prodiges à nul autre pareil qu'il exécutait, ont refusé de voir en lui le Fils de Dieu. Jésus faisait trop d'ombre à leur autorité. Ainsi l'ont-ils fait périr, ignorant qu'ils exécutaient ainsi le plan-même de Dieu.

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Extravagant et révolutionnaire

Bien accueilli par le peuple, Jésus n'a pas non plus été totalement compris de lui. Car le peuple hébreux attendait un libérateur de l'oppression romaine, le roi d'un royaume terrestre et non pas céleste libérateur du mal. Beaucoup de personnes n'ont retenu que ses capacités d'orateur et ses miracles exceptionnels, et non pas le message, capital.

Parmi ses disciples, certains l'ont quitté après la séance durant laquelle il a révélé que sa chair serait "pain et le vin éternels". Trop révolutionnaire et extravagant pour venir de Dieu, pensaient-ils.

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La grande apostasie

Aujourd'hui, après un christianisme qui s'est répandu jusque dans les îles les plus lointaines et les forêts les plus inextricables, on assiste à une apostasie dans le monde occidental qui recherche, à la place, de nouvelles croyances, de nouveaux chamans, de nouvelles "énergies" à faire surgir dans un contexte de recherche de plaisir et de bien-être où les valeurs morales traditionnelles ont éclaté. Il est vrai que le scientisme a fait des ravages, mais on en est peu à peu revenu.

Jésus et Dieu sont considérés comme des contes d'un autre âge pour esprits crédules, les commandements de Dieu pour de lourdes obligations has been. Les Occidentaux du XXIe siècle ne comprennent pas qu'au contraire, ces commandements sont des garde-fou légers, respectueux de l'homme et de sa grandeur. L'homme préfère se vautrer dans la fange plutôt que de remonter sur le piédestal perdu, comme le lui propose Dieu depuis des siècles. L'homme ne voit pas non plus la magnificence de l'amour de Dieu pour lui, si vertigineuse qu'elle en fait presque peur.

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Le Christ procède à un grand nettoyage...

Le Christ a pris le risque de conférer les clés de son Église à des hommes. Il savait d'ores et déjà à quoi s'en tenir, puisque les hommes même d'église, restent des hommes, avec leurs failles.

Les dérives de l'Église,dans le passé et le présent, ont fait un tort considérable à Dieu. Elle a préservé le secret absolu de la confession. Elle a privilégié la possibilité de résilience de chaque personne. Elle a voulu taire les horreurs internes pour se préserver et préserver l'image de Dieu. Or les scandales et leur impact néfaste n'en ont été que plus grands. Certaines horreurs ont été commises en plus grand nombre dans l'Église catholique que dans le reste de la société, le rapport courageusement demandé par l'Église l'a clairement établi. Elles sont d'autant plus terribles qu'elles l'ont été par des personnes appelées par Dieu à le servir et à servir les autres de façon quasi-irréprochable. Les responsables répondront devant Dieu de leurs actes et Sa Justice s'appliquera. Les Écritures sont on ne peut plus claires à ce sujet :

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« Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer.**

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Malheureux le monde à cause des scandales ! Il est inévitable qu’arrivent les scandales ; cependant, malheureux celui par qui le scandale arrive !

Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie éternelle manchot ou estropié, que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel.**

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Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie éternelle, que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu.**

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Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux. »

(Matthieu 18, 6-11)

Gardons à l'esprit que ces horreurs touchent aussi tous les autres domaines (sport, enseignement...). Et que les personnes religieuses ayant commis des atrocités ne sont qu'un faible pourcentage par rapport à l'immensité des hommes et femmes d'église, religieux et religieuses, ou tout simplement laïcs chrétiens, qui donnent toute leur vie au service des autres (lire sur ce site Soutien national et Soutien international), quitte à y perdre leur vie  (voir les nombreux martyrs actuels). Comme le dit le cardinal Sarah : « L’immense majorité des prêtres ont été fidèles à leur sacerdoce, mais personne n’en parle. » Ce n'est pas vendeur et on ne peut pas casser de sucre sur le dos de l'Église, des croyants, de Jésus, avec cela...

 

Alors, les actes terribles de certains sont-ils une raison suffisante pour rejeter en bloc la foi en Jésus, ou l'Église ?

Le Christ est-il responsable des horreurs commises par des religieux, parmi ceux qu'il a appelés à se consacrer à lui ? Aurait-il dû intervenir pour les empêcher ? Il est évidemment intervenu par le biais de la conscience de ces personnes. Aurait-il dû aller plus loin ? Non, car rappelons qu'il a créé les hommes libres. S'il devait intervenir pour chaque crime ou pensée néfaste dans le monde, que deviendrait cette liberté, aussi chère à ses yeux qu'aux hommes eux-mêmes. Il est également évident qu'il souffre particulièrement, dans Son Sacré-Cœur, lorsque des religieux vont non seulement à l'encontre de son message, mais posent des actes criminels, et que des personnes innocentes en sont les victimes. Ses révélations à Sœur Faustine, par exemple, montrent clairement que ses blessures les plus cuisantes ont pour cause les mauvaises actions ou pensée des religieux. 

Alors, on a le droit de fuir l'Église, mais pas Jésus.

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Le passé, lui, n'a pas toujours été bien expliqué ou interprété : prenons pour exemple les croisades : elles avaient pour objectif, non pas de combattre des infidèles, mais de permettre à nouveau aux pèlerins l'accès aux lieux saints qui leur avaient été fermé par les orientaux... Était-ce une mauvaise raison ? Certes non. 

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Il y a aussi ceux qui croient, mais se dispensent d'agir, et se disent que Dieu est miséricordieux et leur pardonnera. Ils oublient la Justice de Dieu au passage.

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L'expansion du christianisme... ailleurs

Partout ailleurs dans le monde, le christianisme connaît une remarquable expansion : en Afrique, où les communautés sont très dynamiques et envoient leurs prêtres au secours de la baisse des vocations du Nord. Mais aussi au Moyen-Orient (Iran, Arabie Saoudite...) et en Orient (Chine par exemple), où de très nombreuses conversions de musulmans se produisent partout, malgré des conditions extrêmement difficiles où les convertis risquent la peine de  mort.

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Pourquoi aller chercher ailleurs ce qu'on a sous la main ? Jésus est à notre porte, il frappe, et il attend que nous ouvrions. Or, il n'entre que s'il est invité.

**Comme certaines paroles dans l'Ancien Testament, qui faut toujours penser à replacer dans le contexte des coutumes, mentalités de l'époque, auxquelles Dieu s'adapte en faisant passer son message à travers les différentes rédacteurs, certaines paroles du Christ dans l'Évangile peuvent être difficiles à entendre, parce qu'elles semblent contredire l'insistance constante de Jésus sur la miséricorde du Père ou son propre désir de sauver tous les hommes. En s'adressant à la foule ou aux disciples, Jésus, à certains moments, paraît reprendre à son compte les roueries d'un employé, le cynisme d'un employeur, ou même les remarques désabusées de la sagesse populaire.

De telles paroles du Christ nous contraignent à mesurer et accepter la distance culturelle qui nous sépare des usages et du langage de la Galilée et de la Judée du Ier siècle. Certaines formules que Jésus reprend hérissaient déjà ses contemporains, et visiblement Jésus veut susciter en eux ces réactions indignées. Cela faisait partie de la rhétorique populaire de son temps, tout comme les paraboles s'accommodaient fort bien d'une pointe d'invraisemblance ou d'exagération.

Mais il faut bien noter la surenchère que Jésus fait jouer à chaque fois. Souvent, en piquant ainsi l'attention de ses disciples, Jésus veut faire passer un message, qui concerne l'importance des grands enjeux de la vie, le sérieux des choix de l'homme et l'urgence de la conversion ; mais ces exigences mêmes sont l'expression de son amour, et c'est cette pédagogie que nous avons tant de mal à rejoindre. Car instinctivement nous opposons la miséricorde et l'effort demandé, l'Alliance et la Loi, la volonté de salut et le rappel du chemin de droiture ; mais dans le cœur de Dieu tout cela ne fait qu'un.

Pour beaucoup de personnes athées, l'homme est l'aboutissement de l'évolution, "point barre". Il y a un refus hermétique de l'existence et de la connaissance de Dieu. Pourtant, il faut bien que la première cellule ayant porté la vie vienne de quelque part...

Un zeste d'orgueil dans ce refus ("Quoi, moi, avoir besoin d'un Dieu ? Me prosterner devant lui ? Ah, ça, jamais !")

Refus de croire à partir de preuves diverses ("Moi, je ne crois que ce que je vois. Comme je ne sais pas s'il y a un Dieu ou pas, et bien je fais comme s'il n'existait pas.")

Refus de croire que Dieu n'est pas à l'origine du mal que l'homme commet ("Comment Dieu peut-il laisser faire cela s'il existe ?")

 

Mais le chrétien n'est pas en reste : souvent, il refuse laisser Jésus entrer dans certaines cavernes fangeuses de son âme ("Jésus, je t'aime et je te donne tout sauf....")

Les nouvelles valeurs du XXIe siècle :

le Bien devenu mal, le Mal devenu bien

Dans ce monde ou règne compétition outrancière et recherche du plaisir immédiat, où bien des personnes ne vivent pratiquement plus qu'en ville, ignorant tout des rythmes de la nature...

... les valeurs morales se sont diluées, remplacées par celles que la Bible récuse, et sont devenues les véritables modèles à suivre. Le Mal est devenu Bien, le Bien est devenu Mal.

Tirer la couverture à soi, égoïsme

Tirer la couverture à soi au détriment de l'autre

Narcissisme et vanité

moi, Moi, MOI, MOOOAAA!

Je suis le meilleur, orgueil

Regardez-moi, je suis le plus beau,

le plus top sur les réseaux sociaux

Avoir tort, avoir raison

Tu as tort, moi j'ai raison

Je suis la meilleure et la plus belle, vanité

Je suis la plus belle

et aussi la meilleure au boulot !

Homme agressif avec couteau

Pas touche à mon butin !

Homme marchant sur un autre par ndividualisme

Peu importe que tu souffres, moi je veux de l'avancement !

ésotérisme, cornue

Bien des personnes refusant Dieu font de leur vie une recherche perpétuelle et frénétique de plaisirs. D'autres cherchent à combler le vide de leur vie, son absence de sens, en se jetant dans un frénétisme "d'activités" ; ils n'ont plus le temps de se poser des questions, de méditer, d'apprécier un paysage. Certaines, à la recherche d'un bien-être idéalisé ou pour combler un désir spirituel, cherchent le Graal dans le bouddhisme, voire l'islam, ou tombent dans l'ésotérisme, le  New Age,  volontairement ou sans le savoir. Les  pierres, "énergies", beaux parleurs lumineux foisonnent sur internet, etc. et font des ravages, ouvrant la porte aux forces du mal. (Voir sur ce site les pages

Le diable existe-t-il avec des témoignages d'exorcistes et de victimes ainsi qu'une mise en garde concernant les pratiques occultes que vous effectuez sans doute sans le savoir ;  

Satan veut votre mort éternelle pour en savoir plus sur ce que fait le diable à votre insu pour vous entrainer avec lui ;

Le démon pour lire les extraits d'évangiles dans lesquels Jésus met en garde concernant Satan, avec des commentaires.

Attention à ne pas attendre la fin du la cigarette pour se poser de sérieuses questions sur l'existence, ou non, de Dieu, car au bout, il y a la même fin pour tous, la mort.

cigarette qui se consume fond noir
Pistolet tirant une rose, remplacer l'agressivité par l'amour

Parmi les propositions de Dieu : remplacer l'agressivité par autant d'amour que possible. L'unique recette possible pour vivre tous ensemble sur terre. 

Extraits d'Évangiles sur le thème
du refus de Dieu et de sa volonté

Nous avons joué de la flûte

« À qui donc vais-je comparer

les gens de cette génération ? »

(Lc 7, 31-35)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « À qui donc vais-je comparer les gens de cette génération ? À qui ressemblent-ils ? Ils ressemblent à des gamins assis sur la place, qui s’interpellent en disant : “Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré.” Jean le Baptiste est venu, en effet ; il ne mange pas de pain, il ne boit pas de vin, et vous dites : “C’est un possédé !” Le Fils de l’homme est venu ; il mange et il boit, et vous dites : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs.” Mais, par tous ses enfants, la sagesse de Dieu a été reconnue juste. » 

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Des gamins qui s'ennuient sur une place et qui se renvoient la responsabilité de leur ennui commun : voilà le portrait que Jésus trace de sa génération, peut-être aussi de la nôtre.

Et les gamins n'ont pas d'excuse à bouder ainsi : on ne leur demande pas de faire le jeu, ni d'être le jouet des autres, mais simplement d'entrer dans le jeu, de jouer à la noce pendant que les garçons soufflent dans leur flûte, de jouer à l'enterrement pendant que les filles entonnent la lamentation. On ne leur demande que de jouer, or justement ils ne veulent pas faire leur part, et ils aiment mieux rester là, assis, durant des heures, en dénigrant toutes les initiatives. Rien ne les intéresse de ce qui vient des autres, et ils préfèrent manquer le jeu que d'aider les autres à s'amuser.

Ainsi ont réagi les Pharisiens : ils ont refusé le baptême de Jean, et maintenant ils se raidissent devant l'appel de Jésus ; et pour garder leur autonomie, pour se rassurer sur leur bon droit, ils dévalorisent les deux messagers : "On nous donne le choix entre un demi fou et un buveur !"

Les braves gens, eux, ont choisi, et bien choisi. Ils ont reconnu dans les paroles de Jésus l'appel de la Sagesse de Dieu : "Venez, mes fils, écoutez-moi... Venez, mangez de mon pain... Venez, même sans argent, et rassasiez-vous !" (Pr 9,5).

Quant à nous, comment se fait-il qu'après tant d'années nous nous retrouvions assis sur la place, boudant la joie de Dieu et plus ou moins insensibles aux signes qu'il nous fait, à toute la musique qu'il invente pour nous ? Comment se fait-il que notre réponse journalière à Dieu soit encore donnée du bout des lèvres, comme si nous traînions avec nous une perpétuelle déception de ce que Dieu nous propose ?

Certains diront peut-être : "Je ne sais plus où j'en suis, et les changements de style me désorientent : faut-il choisir entre l'ascèse ou la liberté ?"

Fausse question sans doute ; faux dilemme. Ce qui est à choisir et à préférer, c'est le Christ ; et la lumière du Christ, comme une lanterne qui avance avec nous (Ps 119,105), éclairera chaque jour les nouveaux pas à faire.  Il y a plus de véritable ascèse que partout ailleurs dans la liberté que le Christ nous offre, et nulle part nous ne serons plus libres que dans l'effort auquel il nous convie.

En un sens, c'est Dieu qui a choisi, et nous avons à entrer librement dans son choix. Dieu a choisi en nous donnant son Fils, et le christianisme est avant tout un chant de noces, avant tout un banquet où l'on mange ensemble, où l'on "mange avec", comme Jésus avec ses amis les pécheurs.

Mais ces noces fêtent un étrange époux, présent pour la foi et absent pour les yeux, et le banquet rassemble ceux qui gardent faim et soif, selon la parole de Jésus à propos de ses disciples, une de ces paroles sans fond qui restent pour nous la charte du voyage : "les gens de la noce ne vont pas jeûner alors que l'Époux est avec eux ; mais un jour viendra où l'Époux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront".

Le Seigneur est sur moi, il m'a consacré par l'onction

« Il m’a envoyé porter

la Bonne Nouvelle »

(Lc 4, 16-30)

 

« En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge. Jésus vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” » Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. » À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. »

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En réponse au doute des gens de son village, Jésus leur parle à deux niveaux.

Il cite d'abord un proverbe : "Aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie" ; puis il propose une leçon d'histoire sainte.

Le proverbe semble avoir laissé les Nazaréens insensibles : Si ce Jésus se considère comme un prophète, c'est son affaire ! Jésus, en fait, commence déjà à se heurter aux refus des hommes, et il admet, lucidement, qu'il n'y ait pas d'exception pour lui, et que son message soit soumis aux mêmes aléas que le message de tous les envoyés de Dieu.

Nul n'est prophète en son pays. Pour se laisser impressionner, les gens réclament toujours de l'étrange, de l'insolite, et ils n'attendent rien de ceux qu'ils connaissent trop. On croit si vite avoir fait le tour d'un homme ! Dès que l'on sait ce qu'il a, ce qu'il fait, ce qu'il vaut, on s'imagine qu'il n'a plus de mystère, et l'on ne s'attend pas à trouver en lui le moindre charisme. Pour peu qu'il soit humble, on le prendra pour un homme quelconque.

Celui qui vient d'ailleurs, au contraire, garde toutes ses chances ; il n'a pas de passé, pas de racines dans le pays ; personne n'a de lui le moindre souvenir et personne n'aura sur lui de préjugés. Sa parole n'est pas dévaluée d'avance en même temps que sa personne.

"Mais voilà, dit Jésus en substance, vous me connaissez, vous savez d'où je suis, et de moi vous n'attendez rien, parce que vous m'avez vu faire les mêmes gestes que vous ; et je suis tellement l'un de vous, vous êtes tellement habitués à moi que vous êtes fermés dès maintenant à toute surprise, à tout étonnement, à tout questionne­ment : "Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie !"

Brusquement Jésus change de niveau. Il quitte le plan de l'expérience humaine, qui élimine toutes les surprises, pour parler des méthodes de Dieu, qui déroutent tous les plans et déjouent tous les calculs de l'homme.

Yahweh, au IXème siècle, avait déjà un peuple, et des pauvres dans son peuple, or il envoyait Élie chez les païens de Sidon. Yahweh avait en Israël des centaines de lépreux ; or Élisée a guéri le syrien Naaman. Ainsi parle Jésus, sereinement ; et voilà que ce simple rappel de faits bien connus, irréfutables, de l'histoire sainte, réveille chez les Nazaréens toute une charge d'agressivité : il ne faut pas entamer les privilèges du peuple de Dieu !

Au fond, Jésus, à mots couverts, commence à stigmatiser les refus de son peuple, ces refus qui seront bientôt un tel mystère pour saint Paul. Si les fils de l'Alliance ne reconnaissent pas en Jésus le salut de Dieu, ce même salut sera proposé aux païens, qui l'accueilleront avec gratitude. Eux sauront voir en Jésus le prophète et l'envoyé de Dieu.

Ainsi en va-t-il de nous, les habitués de la grâce : Dieu ne parvient plus à faire entendre sa voix au creux de l'ordinaire, au milieu des choses trop connues, des habitudes déjà durcies. Il faudrait de l'inédit pour réveiller la curiosité ; il faudrait un langage surprenant pour traverser l'écran des préventions et des habitudes.

Or Dieu a décidé de s'exprimer dans le quotidien, et son Fils parlait en Galilée le patois galiléen, la langue de tous les jours. Il y avait à Nazareth un prophète pour les Nazaréens ; il était venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçu.

Aujourd'hui, puisque l'Esprit Paraclet nous donne d'écouter la voix de Jésus et nous remémore lui-même ses paroles de vie, "ne fermons pas notre cœur, comme au désert", comme à Nazareth. Laissons Jésus prophète faire de nous ses témoins.

Ruines de Capharnaüm

« Celui qui me rejette

rejette celui qui m’a envoyé »

(Lc 10, 13-16)

 

« En ce temps-là, Jésus disait : « Malheureuse es-tu, Corazine ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que leurs habitants auraient fait pénitence, avec le sac et la cendre. D’ailleurs, Tyr et Sidon seront mieux traitées que vous lors du Jugement. Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel ? Non, jusqu’au séjour des morts tu descendras ! Celui qui vous écoute m’écoute ; celui qui vous rejette me rejette ; et celui qui me rejette rejette celui qui m’a envoyé. » 

 

Chorazin, Beitsaïda, Capharnaüm : trois villes privilégiées par Jésus qui ont vu ses miracles sans se convertir, qui ont profité de sa bonté sans ouvrir leur cœur, et qui n'ont pas su "reconnaître le temps de sa visite" (Lc 19,44).

À maintes reprises, dans les Évangiles, Jésus revient sur cette idée, et parle d'occasion manquée, d'inertie devant la grâce ou d'aveuglement consenti. Ces différentes formes du refus suscitaient en lui une sorte d'étonnement douloureux. Fils de Dieu envoyé dans le monde, il percevait, dans le mystère de sa personne, quelle offre inouïe Dieu faisait aux hommes, quel amour Dieu leur manifestait, et quelle lumière s'était levée dans leurs ténèbres. Mais les fils de la promesse se détournaient de Celui qui venait l'accomplir. Quel contraste avec la foi toute droite de l'officier romain, avec la gratitude du lépreux samaritain, avec l'audace de la Cananéenne !

Le malheur des trois villes insouciantes et orgueilleuses, c'est aussi, à certaines heures, le malheur de nos communautés, si souvent interpellées par la parole de Jésus, si souvent visitées par sa grâce, et qui ont tant de mal à rester en état de conversion.

Mais à quoi servirait-il de s'appesantir sur les lourdeurs ou l'impuissance de nos communautés ? Nous-mêmes, personnellement, nous prenons conscience que nous laissons parfois sans écho la parole de Jésus et que nous le faisons attendre quand il nous apporte, gratuitement, sa liberté de Fils.

Là est la différence entre nous et les saints. Eux ont couru, comme Zachée, vers l'endroit où Jésus passait. Eux ont présenté à Jésus leur main desséchée. Eux sont restés, paisibles, sur un chemin d'humilité ; et ils ont saisi comme autant de faveurs de Dieu les occasions de s'oublier et de servir gratuitement.

Ils ont compris d'où viendrait le bonheur, et spontanément ils ont tout vendu ; ils ont tout livré de leurs richesses et de leur sécurité pour acheter la perle.

Cet homme accomplit un grand nombre de signes

« Cet homme accomplit

un grand nombre de signes »

(Jn 11, 45-57)

 

« En ce temps-là, quand Lazare fut sorti du tombeau, beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui. Mais quelques-uns allèrent trouver les pharisiens pour leur raconter ce qu’il avait fait. Les grands prêtres et les pharisiens réunirent donc le Conseil suprême ; ils disaient : « Qu’allons-nous faire ? Cet homme accomplit un grand nombre de signes. Si nous le laissons faire, tout le monde va croire en lui, et les Romains viendront détruire notre Lieu saint et notre nation. » Alors, l’un d’entre eux, Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit : « Vous n’y comprenez rien vous ne voyez pas quel est votre intérêt : il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. » Ce qu’il disait là ne venait pas de lui-même ; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation ; et ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. À partir de ce jour-là, ils décidèrent de le tuer. C’est pourquoi Jésus ne se déplaçait plus ouvertement parmi les Juifs ; il partit pour la région proche du désert, dans la ville d’Éphraïm où il séjourna avec ses disciples. Or, la Pâque juive était proche, et beaucoup montèrent de la campagne à Jérusalem pour se purifier avant la Pâque. Ils cherchaient Jésus et, dans le Temple, ils se disaient entre eux : « Qu’en pensez-vous ? Il ne viendra sûrement pas à la fête ! » Les grands prêtres et les pharisiens avaient donné des ordres : quiconque saurait où il était devait le dénoncer, pour qu’on puisse l’arrêter. »

 

Caïphe ne croyait pas si bien dire. Sans le savoir, et sans le vouloir, il a proclamé une vérité dont le monde entier vit encore aujourd'hui. "Notre avantage", c'était bien que Jésus, seul, entre dans la mort, puisque de cette mort du Fils unique Dieu allait faire la vie pour nous tous.

C'est ce jour‑là, après l'intervention de Caïphe, que les ennemis de Jésus décidèrent de le faire périr. L'Heu­re approchait pour Jésus, cette Heure qui était le but de sa vie parmi nous : l'Heure de sa passion, de sa mort et de sa glorification auprès du Père. Les mailles du filet se resserraient sur lui, et Dieu n'a rien empêché. Il a laissé la haine faire son œuvre, toute son œuvre. Faiblesse volontaire de Celui qui peut tout ; folie de Dieu, plus sage que toutes nos sagesses ; longue descente de Jésus jusqu'au fond de nos laideurs et de nos lâchetés, parce qu'il voulait nous sauver jusque-là, nous sauver même de cela.

Il fallait que la mort changeât de signe, que la souffrance changeât de visage. Alors le Fils s'est laissé défi­gurer. C'était nos péchés qu'il portait ; c'est de nos douleurs qu'il s'était chargé.

Mourir, seul, pour le péché du monde, ce fut le destin de l'Agneau de Dieu, du Fils de Dieu fait homme ; et il n'y a pas d'autre sauveur pour l'humanité. Mais plus nous nous approchons de Jésus, par la foi, l'espérance et l'amour, plus Il nous donne part à son destin, à son mystère pascal de mort pour la vie.

Nous nous étonnons parfois que la coupe du sacrifice nous soit présentée si souvent, dans la vie com­mu­nautaire, sous la forme du service obscur, du dévouement non valorisé, de responsabilités sources de ten­sions. C'est tout simplement que Dieu propose les sacrifices à ceux qui pourront les comprendre et les assu­mer avec amour ; c'est que Jésus offre une place au pied de la Croix à celles qui pourront rester debout avec Marie, sans révolte, sans rancœur et sans plaintes, en acte d'offrande et de compassion.

Jésus disait : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime", pour ceux que Dieu nous demande d'aimer. Une grande part de notre réponse à Dieu, et le plus clair de notre sainteté ici‑bas, consistera dès lors à livrer notre vie, nos forces et notre temps, selon un rythme et des modalités qui échappe­ront à nos prises et à nos prévisions.

Jésus est mort "pour rassembler", et toute œuvre d'unité à laquelle nous serons associés impliquera une mort à nous‑mêmes, une désappropriation de nos projets personnels, une entrée sans retour dans le secret que Dieu habite.

Dans le destin de ceux et de celles qui veulent s'identifier à Jésus, un moment vient toujours où il faut cesser de mesurer, de calculer, de regretter en murmurant, afin de laisser toute la place aux choix du Père et aux inventions de l'Esprit.

Par là passe le bonheur d'être tout à Dieu ; par là est donnée la preuve de notre amour ; par là Jésus nous ouvre à sa joie et nous donne part à sa liberté de Fils.

Jésus pleure sur Jérusalem

Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu

en ce jour ce qui donne la paix ! »

(Lc 19, 41-44)

 

« En ce temps-là, lorsque Jésus fut près de Jérusalem, voyant la ville, il pleura sur elle, en disant : « Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix ! Mais maintenant cela est resté caché à tes yeux. Oui, viendront pour toi des jours où tes ennemis construiront des ouvrages de siège contre toi, t’encercleront et te presseront de tous côtés ; ils t’anéantiront, toi et tes enfants qui sont chez toi, et ils ne laisseront pas chez toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait. » 

 

Il est rare de voir un homme pleurer, surtout en public. Il faut vraiment, pour cela, qu'il soit sous le coup d'un chagrin ou d'une joie immense. Or les deux à la fois submergent Jésus à cet instant précis : Il perçoit, intensément, l'enthousiasme des disciples qui l'acclament dans la descente du Mont des Oliviers : "Béni soit celui qui vient !"… et en même temps il voit devant lui Jérusalem, splendide, puissante, mais raidie dans ses remparts et dans son refus, Jérusalem qui ne reconnaît pas l'Envoyé de Dieu. 
Et Jésus pleure sur sa ville. Mais il n'y a aucune sensiblerie dans ces pleurs de Jésus. Certes il est fier de sa ville et de tout ce qu'elle symbolise pour l'espérance d'Israël ; mais ce qui lui arrache des larmes, c'est le contraste trop violent entre l'offre de Dieu et la réponse de Jérusalem. 
Peu de temps avant la première ruine de Jérusalem et le premier exil, Jérémie, lui aussi rejeté par les siens, a pleuré sur leur aveuglement : "Si vous n'écoutez pas, en secret va pleurer mon âme, à cause de votre orgueil. Pleurant, pleurant, mon œil laissera couler des pleurs, car le troupeau du Seigneur part en captivité" (Jr 13,17). 
Ces larmes, tout en exprimant le chagrin personnel de Jérémie, voulaient provoquer, comme par mimétisme, la contrition du peuple, un peu à la manière des pleurs rituels dans les liturgies pénitentielles. Jérémie pleurait pour que son peuple apprît à pleurer. 
Les larmes de Jésus, elles aussi, prennent leur sens à la fois comme une prière personnelle et comme une prédication prophétique. Jésus pleure ce que Jérusalem devait pleurer : l'occasion perdue de rencontrer son Dieu : "Si toi aussi tu avais compris, en ce jour, ce qui mène à la paix !" 
Or la paix biblique n'est pas seulement la concorde, la sécurité matérielle ou l'absence d'ennuis ; elle englobe toujours un achèvement et une plénitude qui ne peuvent être reçus que dans l'harmonie avec Dieu. C'est pourquoi les prophètes la présentaient comme l'un des biens liés aux jours du Messie. 
Jésus Messie est venu avec son message de paix, avec ses mains tendues pour la guérison, et sa propre ville n'a pas reconnu en lui la paix de Dieu offerte en visage d'homme. Cela a été "caché à ses yeux", parce qu'elle a détourné son regard de ce que Dieu lui donnait à voir ; et elle a manqué le moment favorable qu'elle espérait depuis des siècles : "Tu n'as pas reconnu le moment où tu as été visitée". 
C'est le drame que vivent parfois, à leur niveau, les communautés de chrétiens, et qui alimente secrètement tant de rancœurs, tant de détresses, tant de sentiments d'échec collectif ; mais chacun de nous, à certaines heures, peut être envahi par la même perception douloureuse des occasions perdues et du gâchis installé. À ces moments d'incertitude et d'interrogations, les images employées par Jésus pour décrire la détresse de sa ville trouvent une étrange résonance dans notre paysage intérieur : encerclement, paralysie, écrasement, démolition, dispersion. À la limite, il ne resterait pas pierre sur pierre de ce que nous avions voulu bâtir à la louange du Seigneur. 
C'est le moment alors de nous souvenir que pour Jésus comme pour les prophètes les paroles de jugement ne sont que l'envers d'une promesse. Tout peut servir, "tout doit servir au bien de ceux que Dieu aime" (Rm 8,28), et la déconstruction dont nous faisons l'expérience en nous-mêmes et dans nos communautés peut être le point de départ d'une construction nouvelle. 
De nos ruines un temple nouveau peut surgir qui ne sera plus fait de mains d'hommes ou de mains de femmes, et qui ne sera plus l'appui de notre fierté ou de notre besoin de sécurité. Un temple fait de pierres enfin vivantes, un temple auquel l'Esprit Saint lui-même donnera élan et cohésion, un temple fraternel pour les visites du Seigneur.

Jésus enseignait au Temple

« Est-ce de Galilée

que vient le Christ ? »

(Jn 7, 40-53)

 

« En ce temps-là, Jésus enseignait au temple de Jérusalem. Dans la foule, on avait entendu ses paroles, et les uns disaient : « C’est vraiment lui, le Prophète annoncé ! » D’autres disaient : « C’est lui le Christ ! » Mais d’autres encore demandaient : « Le Christ peut-il venir de Galilée ? L’Écriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et de Bethléem, le village de David, que vient le Christ ? » C’est ainsi que la foule se divisa à cause de lui. Quelques-uns d’entre eux voulaient l’arrêter, mais personne ne mit la main sur lui. Les gardes revinrent auprès des grands prêtres et des pharisiens, qui leur demandèrent : « Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? » Les gardes répondirent : « Jamais un homme n’a parlé de la sorte ! » Les pharisiens leur répliquèrent : « Alors, vous aussi, vous vous êtes laissé égarer ? Parmi les chefs du peuple et les pharisiens, y en a-t-il un seul qui ait cru en lui ? Quant à cette foule qui ne sait rien de la Loi, ce sont des maudits ! » Nicodème, l’un d’entre eux, celui qui était allé précédemment trouver Jésus, leur dit : « Notre Loi permet-elle de juger un homme sans l’entendre d’abord pour savoir ce qu’il a fait ? » Ils lui répondirent : « Serais- tu, toi aussi, de Galilée ? Cherche bien, et tu verras que jamais aucun prophète ne surgit de Galilée ! » Puis ils s’en allèrent chacun chez soi. »

 

Jérémie ne savait pas, il n'avait pas deviné. Comme un jeune agneau insouciant, trop confiant, il ne se rendait pas compte qu'on lui préparait la boucherie, et que sa liquidation était déjà décidée par ses ennemis. Il a fallu que Dieu lui ouvre les yeux, que Dieu lui donne de vraiment voir et de lire le réel. Et Jérémie le découvre avec une sorte de surprise douloureuse : "Ils montaient un complot contre moi. Ils disaient : Coupons l’arbre à la racine, retranchons-le de la terre des vivants ! "

Qui en veut à ce point à Jérémie ? Cela aussi, Dieu vient de le lui montrer : ce sont les gens de Anatôt, les pro­ches et les cousins de son propre village ! Mais à travers le prophète, c'est la mission de Dieu, c'est Dieu lui-même qui se trouve renié ; d'où la prière de Jérémie : "Que je voie ta revanche sur eux ..."

La réponse de Yahweh viendra, en effet, une revanche d'amour à travers l'exil de son peuple ; mais le prophète lui aussi sera emporté par la tourmente ; il ne partira pas à Babylone, mais il devra fuir en Égypte, emmené de force par ces nationalistes aveugles qu'il aura combattus jusqu'à la fin.

L'étau de la haine se resserre autour du prophète Jésus. Au jour le plus solennel de la fête des Huttes, les hommes en dansant remontaient de la source de Gihon jusqu'à l'autel du Temple, accompagnant un prêtre qui portait dans un broc d'argent un peu d'eau de la source. Jésus, debout, vient de crier à pleine voix : "Si quelqu'un a soif, qui vienne à moi, et qu'il boive, celui qui croit en moi !"... Mais qui a soif, et qui ose croire en lui, venir à lui, se compromettre pour lui ? L'heure du grand choix est arrivé, et l'on discute encore sur l'Écriture, on se chamaille sur Bethléem la royale, et sur la Galilée, si marginale, si ouverte aux "nations", qu'elle ne saurait donner de prophète !

Et pendant que certains tergiversent, d'autre agissent : les Pharisiens ont envoyé des gardes pour arrêter Jésus. Mais les gardes reviennent. Courageux, ils ont préféré ne pas obéir jusqu'au bout plutôt que de marcher sur leur conscience, plutôt que de trahir l'admiration, le respect, le saisissement qu'ils ont éprouvés devant Jésus : "Jamais homme n'a parlé comme parle cet homme ! " Les gardes sont venus à Jésus, sur ordre, mais ils l'ont entendu, ils ont bu ses paroles, et maintenant ils ont soif.

Cependant rien n'arrêtera la haine des Pharisiens qui ont décidé la liquidation de Jésus, même pas le courage et la loyauté de Nicodème, qui les ramène pourtant aux principes élémentaires du droit en Israël : "On ne condamne pas un homme sans l'avoir entendu !". Entendre Jésus, c'est cela qu'ils ne veulent pas, qu'ils ne veulent plus. L'automne va passer, puis un hiver encore. Jésus, retiré à Ephraïm, non loin du désert, évite de paraître en public. Puis au printemps les événements vont se précipiter, et au moment de la Pâque, Jésus, comme un agneau très conscient, se laisse emmener au supplice. Non parce qu'il aimait la souffrance, non pas pour mettre la souffrance au centre de la perspective spirituelle, mais pour aller, même à travers la souffrance, jusqu'à l'extrême de l'amour.

Le peuple le suivait, en grande foule, dit saint Luc, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Mais Jésus, se retournant vers elles, leur dit : "Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants, car si l'on traite ainsi le bois vert, qu'adviendra-t-il du bois sec ?"

Si les hommes traitent ainsi Jésus, l'arbre en pleine sève, qu'adviendra-t-il de nos sarments desséchés ?

Comprenez que moi, je suis

« JE SUIS »

(Jn 8, 21-30)

 

« En ce temps-là, Jésus disait aux Pharisiens : « Je m’en vais ; vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. Là où moi je vais, vous ne pouvez pas aller. » Les Juifs disaient : « Veut-il donc se donner la mort, puisqu’il dit : “Là où moi je vais, vous ne pouvez pas aller” ? » Il leur répondit : « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. C’est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés. En effet, si vous ne croyez pas que moi, JE SUIS, vous mourrez dans vos péchés. » Alors, ils lui demandaient : « Toi, qui es-tu ? » Jésus leur répondit : « Je n’ai pas cessé de vous le dire. À votre sujet, j’ai beaucoup à dire et à juger. D’ailleurs Celui qui m’a envoyé dit la vérité, et ce que j’ai entendu de lui, je le dis pour le monde. » Ils ne comprirent pas qu’il leur parlait du Père. Jésus leur déclara : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS, et que je ne fais rien de moi-même ; ce que je dis là, je le dis comme le Père me l’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable. » Sur ces paroles de Jésus, beaucoup crurent en lui. »

​

Il y a bien des sortes de solitude :

La solitude de celle qui a cessé d'accueillir, parce qu'elle ne se sent pas elle-même accueillie,

la solitude de celle qui n'attend plus rien de ses sœurs, ou dont les sœurs n'attendent plus rien,

la solitude de celle qui n'a jamais pu vraiment s'ouvrir, et qui a l'impression de n'exister pour personne,

la solitude de la responsable, qui désormais doit porter sans se faire porter.

Il y a la solitude positive de l'adulte, qui sait que personne ne peut vivre ni mourir à sa place, et qui essaie courageusement de dire oui :

oui à son passé, malgré ses blessures,

oui à l'avenir, malgré les incertitudes,

oui à  ce que Dieu lui offre dans le quotidien pour travailler au salut du monde.

Mais il y a la solitude négative, qui isole, qui renferme, qui cadenasse, et qui laisse l'intelligence et le cœur en proie à toutes sortes de fermentations.

Quelle que soit la lumière que l'Esprit de Jésus a déjà faite en nous, il est probable que notre solitude est encore marquée d'un certain flou, qu'elle demeure de temps à autre paralysante, et qu'elle ne nous met pas vraiment, résolument, en route vers la solitude des autres.

C'est pourquoi la parole de Jésus peut trouver en nous une résonance, quand il dit : "Celui qui m'a envoyé est avec moi ; il ne m'a pas laissé seul".

Il n'y a pas de solitude absolue, pour nous non plus, aussi longtemps que nous percevons notre vie comme un envoi, notre liberté comme un cadeau du Père, et notre travail comme un mandat de Dieu.

Au contraire, l'impression d'être seuls grandit en nous à mesure que s'efface la certitude que nous sommes envoyés, à mesure que nous redevenons propriétaires de notre destin, de nos projets, de notre dévouement.

C'est alors que l'échec nous abat, que les résistances rencontrées nous désarçonnent, et que nous sommes tentés de briser tous les miroirs qui nous renvoient une image décevante de nous-mêmes.

Tout autant que nous Jésus a ressenti l'hostilité, l'incompréhension, l'ingratitude ; comme nous il a dû assumer une certaine solitude humaine. Mais sa solitude était toujours habitée par la présence du Père et animée par la référence au Père : "Il ne m'a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît".

C'est là son grand secret, mais un secret qu'il nous partage : si nous voulons que notre solitude change de signe, il faut qu'elle soit habitée par le plaisir de Dieu.

Jésus prit la route de Jérusalem

« Jésus prit la route

de Jérusalem »

(Lc 9, 51-56)

 

« Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem. Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? » Mais Jésus, se retournant, les réprimanda. Puis ils partirent pour un autre village. »

 

Nous commençons aujourd'hui une longue section de l'Évangile de Luc consacrée au voyage de Jésus à Jérusalem, le voyage qui le mène à sa passion et à sa mort.

Luc situe ainsi l'épisode : "Comme approchait le temps où Jésus allait être enlevé de ce monde". C'est le même mot qui, dans la Septante, est employé pour l'enlèvement d'Élie au ciel.

Jésus sait ce qui l'attend, et pourtant il quitte sa Galilée natale, et "résolument" prend la route de Jérusalem, qui traverse la Samarie. Sa troupe est sans doute importante, puisqu'il doit envoyer des disciples pour préparer le cantonnement; et les Samaritains d'un certain village, prenant la suite de Jésus pour un groupe de pèlerins juifs en route vers la Ville sainte, refusent d'héberger les voyageurs.

Cette réaction de rejet était courante, à l'époque, chez les gens de Samarie, qui voulaient défendre leur autonomie religieuse et la légitimité de leur temple du Mont Garizim. Réciproquement les fils d'Israël faisaient grief aux Samaritains de leur manière d'aller au vrai Dieu et de lui rendre leur culte.

Le réflexe de Jacques et de Jean est de rééditer contre ces villageois la menace d'Élie au capitaine du roi Ochozias (2 R 1,12). À ce capitaine qui transmettait la consigne : "Homme de Dieu, le roi a ordonné : "Descends !", le prophète avait répondu : "Si je suis un homme de Dieu, qu'un feu descende du ciel et te dévore, toi et ta compagnie !". Jacques et Jean réagissent immédiatement au refus des Samaritains. Ils y voient un manque d'égards outrageant pour Jésus, tout comme l'outrecuidance d'Ochozias était un affront pour le prophète ; et ils proposent pour ce village inhospitalier un châtiment digne d'Élie et de son siècle de fer : "Seigneur, veux-tu que nous ordonnions au feu du ciel de descendre et de les consumer ?". Ils veulent se servir de la puissance de Jésus pour passer en force.

Tout autre est l'attitude de Jésus, et l'Évangéliste prend bien soin de souligner le changement de style entre Élie et Jésus prophète. Jésus s'aperçoit bien que cette hostilité ne le concerne pas vraiment: les Samaritains n'en veulent pas à sa personne, mais se vengent du mépris dont ils se sentent l'objet depuis plusieurs siècles. Sereinement Jésus contourne l'obstacle et, se retournant, il réprimande les deux frères: la violence, c'était bon au temps d'Élie; lui, Jésus, met sa puissance au service de la miséricorde. Alors qu'il s'en va mourir à Jérusalem, condamné par des membres de son peuple, il ne va pas se formaliser du mouvement d'humeur de quelques étrangers.

Jésus ne va pas là où va la violence, et il ne forcera pas l'entrée du village. Jacques et Jean, tout feu tout flammes, en "fils du tonnerre" (Mc 3,17), appellent la foudre. Jésus, lui, décide de partir pour un autre bourg.

Quelle leçon d'objectivité et de sagesse, pour nous que l'hostilité, réelle ou supposée, désarçonne si souvent! Pour la moindre contrariété, pour un oubli involontaire, pour une parole dite ou un silence gardé, pour une gêne passagère dans notre travail ou un retard dans nos projets, pour une méprise sur nos intentions, nous mobiliserions bientôt tous les tonnerres du firmament, prenant presque Dieu à témoin de notre bon droit.

Nous perdons du temps à tempêter contre nos Samaritains. Hâtons-nous avec Jésus, résolument, vers Jérusa­lem: c'est là que le salut va s'accomplir.

Ouvrez bien vos oreilles à ce que je dis

« Ouvrez bien vos oreilles

à ce que je vous dis

maintenant »

(Lc 9, 43b-45)

 

« En ce temps-là, comme tout le monde était dans l’admiration devant tout ce qu’il faisait, Jésus dit à ses disciples : « Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » Mais les disciples ne comprenaient pas cette parole, elle leur était voilée, si bien qu’ils n’en percevaient pas le sens, et ils avaient peur de l’interroger sur cette parole. »

 

Pas une fois dans sa vie le Christ ne s'est appuyé sur l'effet merveilleux que pouvaient produire ses guérisons et ses miracles. Il ne recherchait pas l'enthousiasme des foules, mais le changement de vie de ceux qui l'écoutaient et le voyaient agir.

Et c'est au moment où tous s'émerveillent de ses œuvres que Jésus leur révèle avec insistance ce qui va devenir un scandale pour leur foi : "Le Fils de l'Homme va être livré aux mains des hommes". Mais cette annonce qui nous paraît si claire reste hermétique pour les auditeurs de Jésus. Comment le Fils de l'Homme pourrait-il être livré ? comment ce personnage, dont la tradition (Daniel) disait qu'il avait ses entrées auprès de Dieu, pourrait-il être abandonné, impuissant, aux mains des hommes ?

Tout cela restait pour eux une énigme; mais le malheur, c'est qu'ils avaient peur de l'interroger sur ce point.

C'est toujours un malheur que d'avoir peur de Dieu, et c'est l'une de nos misères que de ne pas aller hardiment au-devant de la lumière.

Quand la conduite de Dieu nous déroute, quand les chemins qu'il choisit pour nous nous semblent étranges, quand nous sentons planer une menace sur notre amour du Seigneur, il nous arrive de tendre le dos, de nous recroqueviller, de nous taire comme devant une fatalité.

Or Jésus aurait tant aimé que ses disciples l'interrogent ! il aurait tant voulu les aider à regarder l'événement en face, les préparer à la passion comme il s'y préparait lui-même ! Il leur aurait parlé de l'amour du Père, de sa propre mission telle qu'il la comprenait, et du sens qu'il allait donner à sa mort.

Mais ils avaient peur de l'interroger.

Les psalmistes et les prophètes, tous les grands priants ont posé des questions à Dieu, non pas sous le signe de la révolte, mais parce qu'ils ne voulaient pas que s'abîme en eux l'image de leur Seigneur.

Combien de nos tristesses cesseraient, combien de nos malaises spirituels s'éloigneraient, si nous savions dire simplement, comme un ami à un ami : "Jésus, explique-moi. Jésus, fais-moi comprendre".

Non pas pour guetter une réponse immédiate, non pas même pour abréger l'attente, mais pour nous ouvrir d'avance à la lumière, quand il plaira à Dieu de l'envoyer.

"Envoie ta lumière et ta vérité : qu'elles soient mon guide et me ramènent vers ta sainte montagne, vers le lieu de ta demeure!" (Ps 43,3)

C'était la prière du psalmiste. Pour nous, disciples de Jésus, cette prière se change en appel à l'Esprit, puisque c'est lui qui nous conduira "vers la vérité tout entière".

Quand l'épreuve s'épaissit dans notre vie, quand la passion à certaines heures se fait proche, quand les promesses du Christ restent voilées pour nous, le Maître n'attend de nous qu'un signe pour nous donner l'enseignement intime de son Esprit, mais nous n'osons pas l'interroger.

Les pharisiens regardent les disciples arrachant des épis de blé

« Le sabbat a été fait pour l’homme,

et non pas l’homme pour le sabbat »

(Mc 2, 23-28)

 

« Un jour de sabbat, Jésus marchait à travers les champs de blé ; et ses disciples, chemin faisant, se mirent à arracher des épis. Les pharisiens lui disaient : « Regarde ce qu’ils font le jour du sabbat ! Cela n’est pas permis. » Et Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu’il fut dans le besoin et qu’il eut faim, lui-même et ceux qui l’accompagnaient ? Au temps du grand prêtre Abiatar, il entra dans la maison de Dieu et mangea les pains de l’offrande que nul n’a le droit de manger, sinon les prêtres, et il en donna aussi à ceux qui l’accompagnaient. » Il leur disait encore : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. Voilà pourquoi le Fils de l’homme est maître, même du sabbat. »

 

"Le sabbat a été fait pour l'homme", dit Jésus.

Le repos hebdomadaire a été donné à l'homme, et c'est un cadeau de Dieu, pour libérer l'homme de la contrainte du travail, de la fièvre dans l'œuvre de ses mains ou de son Esprit, de l'esclavage des choses à maîtriser, à conquérir, à posséder.

Le sabbat a été donné aux hommes pour qu'ils aient dès ici-bas accès au Repos de Dieu, en prenant du repos pour Dieu ; et l'arrêt du travail doit permettre aux hommes de se servir des créatures pour la louange et l'action de grâces.

L'homme peut alors entrer dans la joie de Dieu lorsque, ayant achevé la création, il vit que "tout cela était bon".

Le repos du septième jour, c'est ainsi le moment où le croyant retrouve l'harmonie que Dieu a voulue entre l'homme et le monde, le monde fait pour l'homme.

​

Les ennemis de Jésus en étaient venus à fausser le sabbat. Au lieu du repos offert, ils ne voyaient plus qu'un repos prescrit. Dans le repos libérateur, ils ne voyaient que le repos obligé. Ce que Dieu avait donné pour le bonheur et la liberté, les hommes l'accaparaient pour asservir les cœurs ; et au lieu de se laisser attirer par une qualité nouvelle de la vie, le jour du sabbat, ils s'enfermaient dans des minuties désolantes : même pas le droit de froisser des épis !

 

Jésus vient. Il se heurte à l'étroitesse des Pharisiens, et il dit, calmement : "Le Fils de l'Homme est maître, même du sabbat !"

Oui, Jésus Fils de l'Homme est plus grand que David, et ce que David a fait parce que ses compagnons avaient faim, dans des circonstances exceptionnelles, lui peut le faire d'une manière permanente.

Il est maître du sabbat, parce qu'il est le gérant des cadeaux de Dieu. Lui, le propre Fils de Dieu, vient proposer de nouveau le repos aux hommes, et il interprète pour eux la manière de le vivre. Dieu avait donné le sabbat au dernier jour de la création ; Jésus transforme le sabbat parce qu'il inaugure la nouvelle création. Et désormais, pour ses disciples, le jour de repos sera lié au jour de la Résurrection ; les chrétiens se reposeront le dimanche, le jour où Jésus est entré dans la vie nouvelle, dans le Repos du Père.

 

De cela nous lisons un pressentiment dans le livre du Deutéronome, où Moïse dit aux fils d'Israël : "Vous vous reposerez le jour du sabbat parce que Dieu vous a libérés". Nous disons aujourd'hui, en langage chrétien : nous nous reposons le Jour du Seigneur parce que le Christ, définitivement, nous a libérés par sa Résurrection.

 

Et cela éclaire notre dimanche d'une lumière très paisible et très douce.

Parce que Jésus nous a donné un peu de sa liberté de Fils, nous sommes nous aussi un peu maîtres du sabbat, car nous pouvons choisir, personnellement, en foyer, en famille, la manière dont nous allons vivre le repos que Dieu nous offre.

 

Dans nos démarches, qu'est-ce qui va être libérateur ? Qu'est-ce qui va susciter à l'égard de Dieu la gratuité et l'action de grâces ? Qu'est-ce qui va nous remettre en harmonie avec le monde, en communion et en joie avec ceux que Dieu nous a donnés à aimer ?

Judas quitte le Cénacle pour livrer Jésus

« Malheureux celui

par qui il est livré ! » (Mt 26, 14-25)

 

« En ce temps-là, l’un des Douze, nommé Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres et leur dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui remirent trente pièces d’argent. Et depuis, Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer. Le premier jour de la fête des pains sans levain, les disciples s’approchèrent et dirent à Jésus : « Où veux-tu que nous te fassions les préparatifs pour manger la Pâque ? » Il leur dit : « Allez à la ville, chez untel, et dites-lui : “Le Maître te fait dire : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je veux célébrer la Pâque avec mes disciples.” » Les disciples firent ce que Jésus leur avait prescrit et ils préparèrent la Pâque. Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze. Pendant le repas, il déclara : « Amen, je vous le dis : l’un de vous va me livrer. » Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : « Serait-ce moi, Seigneur ? » Prenant la parole, il dit : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! » Judas, celui qui le livrait, prit la parole : « Rabbi, serait-ce moi ? » Jésus lui répond : « C’est toi-même qui l’as dit ! » 

 

"L'un de vous va me livrer", dit Jésus. Mais quel moment étrange pour une telle confidence ! Les Douze sont attablés autour de lui pour le repas le plus sacré de toute l'année liturgique, c'est une pâque joyeuse et grave, comme toutes celles qu'ils ont célébrées ensemble, mais de plus, à bien des signes, les disciples devinent que Jé­sus veut en faire un repas d'adieu.

Jésus a voulu aussi qu'ils entendent ensemble cette parole qui lui brûlait le cœur depuis des jours : "En vérité, l'un de vous va me livrer." Pourquoi ? Parce que la trahison de Judas les concernait tous, comme elle nous con­cerne tous aujourd'hui encore. Avant d'apprendre le nom du traître, ils ont entendu Jésus dire : "l'un de vous", parce qu'il fallait que chacun en vienne à demander : "Serait-ce moi, Seigneur ?"

Lui, nous, moi : tel est bien le chemin que doit emprunter notre méditation pour entrer dans la pensée de Jé­sus. Lui, Judas, le traître, mais aussi nous, et moi aussi, dans ma traîtrise.

"Serait-ce moi, Seigneur ?" Ils ont d'abord été onze à poser la question, mais la réponse de Jésus est res­tée évasive. Puis Judas, seul, a pris la parole : "Serait-ce moi, rabbi ?" et la réponse cette fois a été sans détour, parce que Jésus était sans illusion : "Tu l'as dit !"

Chacun des Onze savait qu'il n'avait pas trahi, qu'il n'avait pas livré le Maître ; et pourtant chacun a posé la question, parce que chacun se sentait capable de trahison, et aucun n'aurait osé répondre de lui-même pour l'ave­nir. Si bien que dans la tristesse qui les étreignait tous, il y avait deux chagrins à la fois : le chagrin que l'un d'eux puisse commettre un tel acte, et le chagrin, pour chacun d'eux, de ne pas pouvoir se disculper sur le champ. Cette tristesse des Onze était prémonitoire, car eux aussi blesseront l'amitié de Jésus. Certes, Judas seul le vendra ; mais tous les autres s'enfuiront.

Ainsi en va-t-il de notre amour et de notre faiblesse. Notre attachement pour le Seigneur est sincère, et notre don, pour l'essentiel, n'a pas été repris, mais notre péché participe à la fois de la trahison de Judas et du lâ­chage des Onze. Il nous arrive, en effet, tournant le dos aux Béatitudes, de préférer à la pauvreté et à l'humilité de Jésus les trente pièces dérisoires de notre confort personnel, de notre tranquillité ou de notre volonté de puissan­ce. II nous arrive aussi de fuir, de louvoyer, de prendre du champ, au moment où il faudrait nous solidariser avec le destin de Jésus, partager ses liens et sa non-violence, rejoindre son chemin de douceur, et prendre, à son ser­vice, les seules armes de l'amour.

Il a plongé la main avec Jésus dans le plat de l'amitié, celui qui allait le trahir. Mais Jésus, vainqueur du mal, et pour nous montrer "quelle espérance nous ouvre son appel" (E 4,4), nous offre chaque jour son amitié sous le signe du repas. Au moment où, les yeux rivés sur nos misères, nous en venons à redire : "Serait-ce moi, Seigneur ?", Jésus vient à nous et se donne lui-même en gage de pardon et de résurrection : "Prenez, mangez : ceci est mon Corps."

Se laver les mains

« Pourquoi tes disciples

ne suivent-ils pas la tradition

des anciens ? »

(Mc 7, 1-13)

 

« En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats. Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. » Il leur disait encore : « Vous rejetez bel et bien le commandement de Dieu pour établir votre tradition. En effet, Moïse a dit : Honore ton père et ta mère. Et encore : Celui qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort. Mais vous, vous dites : Supposons qu’un homme déclare à son père ou à sa mère : “Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont korbane, c’est-à-dire don réservé à Dieu”, alors vous ne l’autorisez plus à faire quoi que ce soit pour son père ou sa mère ; vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre. » 

​

 

Tout n'était pas mauvais dans les habitudes juives, et même, beaucoup de préceptes ne faisaient qu'énoncer les lois de l'hygiène la plus élémentaire. Laver les coupes, les cruches et les plats, c'était tout à fait recommandable, et nous le faisons nous-mêmes au moins deux fois par jour. Se laver les mains avant de passer à table, c'est également un réflexe qu'on nous a inculqué depuis l'enfance, et la précaution n'est pas toujours inutile, à en juger par les mains de nos écolières quand elles viennent communier.

Il ne serait pas venu à l'idée de Jésus de critiquer la propreté ; mais puisque, ce jour-là, les gens instruits lui faisaient des reproches, il a saisi l'occasion pour mettre les choses au point, car il avait, à son tour, des griefs à formuler.

Tout d'abord il reproche aux scribes leur minutie inutile : se laver les mains, fort bien ; mais pourquoi "jusqu'au coude", si les bras sont propres ? Pourquoi obliger les hommes à des gestes vides de sens ?

Un autre grief va plus loin : pourquoi s'asperger d'eau au retour de la place publique ? Est-ce que le coude à coude de la vie quotidienne rend impur aux yeux de Dieu ? Ou bien y a-t-il une catégorie d'hommes qui contamine les autres ? Jésus ne peut accepter cette discrimination religieuse !

Enfin Jésus dénonce par deux fois le mensonge spirituel des scribes : "Vous mettez de côté le commandement de Dieu, la volonté de Dieu, vous annulez sa parole. Vous faussez le vrai culte, qui doit venir du cœur. Dieu a dit : "Honore ton père et ta mère" ; et vous dites : "Halte-là ! Les fonds sont bloqués : le capital de cet homme appartient au temple !"

Ainsi le temple passe avant Dieu, et l'argent du temple avant l'obéissance à Dieu.

Et tout cela, pourquoi ?  Parce qu'on s'attache à une tradition transmise par des hommes ! Parce que rabbi Untel a dit : "Jusqu'au coude !", jusqu'à la fin des temps on se lavera jusqu'au coude. Or Dieu n'avait rien dit du tout !

Ne raillons pas trop vite ; car la parole de Jésus nous atteint, nous aussi. Certes, nous sommes rarement tentés de nous appuyer sur nos habitudes, mais nous nous appuyons sur des prospectives, sur des évidences concernant l'avenir, sur des préférences que nous érigeons en absolu, sur des manières de faire plus ou moins imposées par le milieu ambiant ou par un scribe de notre entourage.

Certes, il y a de saines traditions, mais on peut devenir propriétaire de l'avenir comme on était autrefois esclave de qui avait dit par des hommes ; on peut s'aliéner dans l'avenir comme on s'aliénait dans le passé. Et tout cela cache la même tentation : l'homme veut parler plus fort que Dieu ; l'homme prétend que par lui l'Esprit a parlé.

Alors lentement se produit la dérive que déjà Isaïe reprochait à son peuple : les lèvres continuent leur louange, alors que le cœur est loin. Il est ailleurs, dans des choses à faire, alors qu'il s'agit d'être, dans des paroles à dire, quand il suffit d'entendre, dans du nouveau à créer avec fièvre, alors que, chaque jour la nouveauté de Dieu est là, qu'il nous invite à recevoir.

N'est-il pas le fils du charpentier ?

« N’est-il pas le fils

du charpentier ? »

(Mt 13, 54-58)

 

« En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et il enseignait les gens dans leur synagogue, de telle manière qu’ils étaient frappés d’étonnement et disaient : « D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? N’est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères : Jacques, Joseph, Simon et Jude ? Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes chez nous ? Alors, d’où lui vient tout cela ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur dit : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays et dans sa propre maison. » Et il ne fit pas beaucoup de miracles à cet endroit-là, à cause de leur manque de foi. »

 

Jésus lui aussi a connu ce que du point de vue humain nous appellerions l'échec.

Il était pourtant préparé, divinement préparé, à sa mission ; il n'était porteur que d'un message de paix et de confiance, et sa parole était accréditée comme parole de Dieu par les miracles.

Mais Jésus ne pouvait ni ne voulait contraindre les gens à croire en lui et à l'aimer, car cela, Dieu ne le fait jamais. Il nous laisse la responsabilité de notre oui ; il nous laisse libres de notre amour, sans jamais cesser de nous proposer le sien ; et il dépend de nous de boire l'eau vive du bout des lèvres ou de nous y rafraîchir en abondance. À vrai dire, il n'y a pas d'échec du Christ, mais des échecs de notre amour. Dieu offre ; ses enfants refusent. Dieu veut le bonheur pour son peuple, et le peuple préfère ses misères et ses pesanteurs. Et ce mystère de l'endurcissement du peuple fait de tout prophète de Dieu un homme exposé à l'échec, comme on le voit dans la vocation d'Ézéchiel.

Ce qui retenait les gens de Nazareth et des environs, face au message libérateur de Jésus, c'est qu'ils connaissaient Jésus de longue date. Il avait été leur compagnon de jeu ; il avait appris à lire la Torah sur les mêmes rouleaux de la synagogue ; et on le voyait passer depuis quinze ans dans les rues, quelques planches sur le dos ou des outils à la main.

On ne pouvait imaginer que la parole de Dieu, la force de Dieu, étaient à demeure chez cet artisan Jésus, "reconnu en tout pour un homme". Et puis, s'il avait fréquenté les écoles, ça se saurait ! Or on connaissait bien ses cousines et ses cousins, Jacques, Simon, José, Jude : chez eux, pas d'intellectuels. Sa mère Marie, elle aussi, était une femme toute simple.

Bref, on n'imaginait pas que Dieu pût faire des merveilles dans cette famille-là !

Au fond, cette difficulté qu'éprouvaient les gens de Nazareth, c'est celle que nous rencontrons lorsque nous prenons conscience du mystère inouï de l'incarnation.

Jésus a tout pris pour tout sanctifier, notre chair d'hommes, notre parole d'hommes, nos images d'hommes, et notre temps humain. Et il nous arrive, à nous aussi, de ne pas reconnaître la visite ou l'invitation de Jésus, parce qu'elles se présentent à nous à travers les paroles et les gestes de l'Église, à travers des relais humains de Jésus, des instruments trop visibles, trop connus, trop quotidiens.

Les Galiléens n'imaginaient pas que la sagesse et la puissance de Dieu fussent présentes en Jésus de Nazareth et nous n'imaginons pas que Jésus ressuscité puisse travailler puissamment et parler authentiquement par son Église d'aujourd'hui, à travers des voix, des visages, des volontés, que nous connaissons trop.

Cette Église de Jésus, "d'où lui viennent cette sagesse et ces miracles ?" Comment peut-elle revendiquer la lumière et la force pour guider les hommes jusqu'à la vérité ? Comment peut-elle affirmer l'autorité qui fait d'elle la gardienne de l'unité ?

Et de proche en proche la faiblesse de notre foi gêne notre perception des sacrements de l'Église : d'où viennent à ces paroles et à ces gestes, à ces symboles bien de chez nous, la lumière qui libère le cœur et la force qui sanctifie ?

L'Eucharistie se dévalue à nos yeux et dans nos cœurs. Bien qu'elle soit, comme tous les sacrements, le salut en visibilité, elle demeure en partie opaque. Entre les signes et la réalité divine qu'ils annoncent, entre les sacrements et la grâce qu'ils apportent, un espace reste, à franchir par la foi. L'étonnement des Galiléens de Nazareth devant la sagesse et la puissance de Jésus rejoint notre étonnement et notre adoration devant le mystère de l'Eucharistie ; et nous sommes amenés à dire au Seigneur qui vient à nous : "Ce que je vois, ce que je touche, ce que je goûte, rien de tout cela n'a prise sur ton mystère.

La foi ne peut vraiment s'appuyer que sur la parole qu'elle entend : "Ceci est mon corps ; ceci est mon sang".

Je crois ce que tu as dit, toi, le Fils de Dieu. Rien de plus vrai que ta parole de vérité, rien de plus vrai que toi, Jésus de Nazareth.

Pourquoi cette génération cherche-t-elle un signe

« Pourquoi cette génération

cherche-t-elle un signe ? »

(Mc 8, 11-13)

 

« En ce temps-là, les pharisiens survinrent et se mirent à discuter avec Jésus ; pour le mettre à l’épreuve, ils cherchaient à obtenir de lui un signe venant du ciel. Jésus soupira au plus profond de lui-même et dit : « Pourquoi cette génération cherche-t-elle un signe ? Amen, je vous le déclare : aucun signe ne sera donné à cette génération. » Puis il les quitta, remonta en barque, et il partit vers l’autre rive. »

 

Il y a deux jours, à propos de la guérison d'un sourd-muet, l'Évangile nous parlait déjà d'un soupir de Jésus, sans expliciter la raison de ce soupir.

Aujourd'hui, à peine débarqué sur la rive Ouest du lac, Jésus voit arriver un groupe de Pharisiens, les maîtres à penser de la classe moyenne et des petites gens, qui lui demandent un signe venant du ciel, un signe qui vienne clairement de Dieu. Jésus, jusqu'alors, dans l'Évangile de Marc, ne s'est pas encore manifesté comme le Messie, et les Pharisiens se posent des questions à son sujet. Des miracles, Jésus en fait, mais il n'est pas de leur parti et même combat ouvertement certaines de leurs doctrines.

On pourrait penser que les Pharisiens souhaitent un supplément de lumière et demandent à Jésus d'annoncer plus clairement sa mission. En réalité, il y a du défi et de l'agressivité dans leur question, et c'est un piège qu'ils tendent à Jésus : S'il accepte de faire un prodige éclatant, on l'accusera de se mettre en valeur, s'il refuse, on dira qu'il n'est pas au niveau d'un Élie ou d'un Moïse.

Poussant un profond soupir, Jésus dit : "Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ?" Et ce soupir traduit l'immense déception de Jésus devant cette attitude négative et corrosive des Pharisiens.

Quelques heures auparavant, il vient de nourrir une foule de quatre mille hommes. Si les Pharisiens n'ont pas reconnu là la puissance et la bonté de Dieu à l'œuvre grâce à Jésus, comment se rendraient-ils à un prodige opéré sur commande ? "En vérité, je vous le dis : il ne sera pas donné de signe à cette génération".

"Cette génération", dit Jésus en reprenant les mots mêmes que le Psalmiste prête à Yahweh, déçu de son peuple : "Quarante ans j'ai eu en dégoût cette génération, ce peuple égaré qui ne connaît pas mes desseins". "Génération fourbe et tortueuse", disait le Deutéronome (32,5), est-ce ainsi que vous récompensez le Seigneur, peuple futile et insensé !"

Cette génération, nous en sommes, frères et sœurs, nous qui vivons sans cesse en retrait de l'audace de Dieu, nous qui boudons ses choix et son style, nous qui passons, sans les voir, à côté de ses merveilles et qui attendons toujours, avant de lui faire confiance, autre chose de plus palpable et de plus évident.

"Les Juifs demandent des signes, disait Paul, et les Grecs recherchent la sagesse" (1 Co 1,32). À la fois Juifs et Grecs, nous voudrions, à certaines heures, que le salut nous vienne dans un fauteuil, et que la parole de Dieu nous soit présentée sur un plateau. Or le salut est toujours, chaque jour, un événement ; c'est Jésus, inattendu, inouï, qui débarque sur notre rive et qui veut être cru sur parole.

Et ce qui est vrai de chacun au niveau personnel se vérifie à l'échelle de nos communautés. Quels prodiges, quels signes contraignants attendons-nous pour nous ouvrir, ensemble, à l'avenir que Dieu promet et promeut ?

Ce repas eucharistique, où Jésus nourrit chaque jour notre communauté et ses disciples sur la terre entière, ce pain rompu pour un monde nouveau, n'est-il pas déjà le juge de sa victoire et de la nôtre, la certitude de sa présence active, dès aujourd'hui, dans la vie de chacun et dans la vie de tous, dans la souffrance de chacun et l'espérance de tous ?

Quelles évidences réclamerions-nous, alors que Jésus nous fait suffisamment confiance pour nous offrir de vivre de foi pure ? Les merveilles, tout comme les croix, c'est Dieu qui les choisit. Le message et la lumière, c'est Jésus qui les apporte en débarquant chez nous.

Ce qui nous revient, c'est d'accueillir les initiatives de Dieu, et c'est alors que nous devenons libres pour créer avec lui. Seuls nos refus et nos lenteurs empêchent Dieu de faire sans retard toute son œuvre.

C'est alors que Jésus soupire, remonte dans la barque, et part pour l'autre rive.

Jésus et la pierre angulaire

« Le royaume de Dieu sera donné

à une nation qui lui fera

produire ses fruits »

(Mt 21, 33-43)

 

« En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : “Ils respecteront mon fils.” Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : “Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !” Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »

​

Comme beaucoup de paraboles de Jésus, la parabole des vignerons homicides peut se lire successivement à deux niveaux : Au niveau du destin de Jésus lui-même, au niveau actuel de notre vie chrétienne.

Au moment où Jésus la prononçait, les Juifs ne s'y sont pas trompés : Jésus voulait décrire ses relations avec son propre peuple. La vigne, c'est le peuple de l'Alliance. Dieu, qui l'a plantée, l'a confiée d'abord au roi, puis à d'autres chefs au retour de l'exil. Il attendait de sa vigne Israël des fruits de sainteté, et de temps à autre il a envoyé ses serviteurs les prophètes pour recueillir les fruits en son nom... Mais on a battu, lapidé, tué les prophètes. Alors Dieu a envoyé son propre Fils, celui qu'il a fait héritier de toutes choses, et Jésus annonce ce qui va lui arriver : on le tuera hors de la vigne sur la colline du Golgotha.

Mauvais calcul, prévient Jésus : vous voulez tuer l'héritier pour avoir l'héritage, mais Dieu ne renoncera pas à son plan de salut : l'héritage passera aux Gentils, qui seront le peuple de la nouvelle alliance ; d'autres vignerons, ses propres Apôtres, prendront en main le peuple fidèle.

Mauvais calcul, vous voulez bâtir sans moi et vous me rejetez, comme matériau sans valeur, c'est pourtant sur moi que reposera pour toujours l'œuvre du salut !

Cette erreur tragique guette encore notre monde. Même des hommes qui ont rencontré le Christ voudraient vendanger sans lui dans leur propre vie et dans la vie des autres. Même dans l'Eglise on laisse parfois se distendre la référence à l'Envoyé de Dieu. Ou bien l'on dévalue la personne même de Jésus Christ, en effaçant sa divinité, au point que Jésus n'est plus qu'un modèle de droiture, un rêveur de génie.

Et Jésus, Fils de Dieu venu sauver des hommes, attend, oublié, méprisé, comme une pierre de rebut, non loin de la grande Babel où de nouveau les hommes se disputent.

Mais nous-mêmes qui sommes responsables de la vigne du Carmel, que pourrions-nous offrir si aujourd'hui le Seigneur venait chercher des fruits ? La question que chacun/e d'entre nous entend dans cet Évangile concerne l'authenticité de sa vie, de son service de Dieu et de sa prière ; c'est une question amicale que le Sauveur nous pose sur la fécondité de notre existence sur terre : "Si aujourd'hui, ce soir, je viens chercher les fruits de ma vigne, tes fruits de foi, et d'espérance courageuse, les fruits de ta charité, que vas-tu me donner ? Qu'est-ce qui remplit tes mains, qu'est-ce qui habite ton cœur ?"

Frères et sœurs, que cette Eucharistie, comme toutes celles qu'il nous est donné de vivre, soit pour nous à la fois célébration de la fidélité de Dieu, rencontre de Jésus l'Envoyé, et offrande filiale de nos derniers fruits.

Abraham

« Si le Fils vous rend libres,

réellement vous serez libres »

(Jn 8, 31-42)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à ceux des Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » Ils lui répliquèrent : « Nous sommes la descendance d’Abraham, et nous n’avons jamais été les esclaves de personne. Comment peux-tu dire : “Vous deviendrez libres” ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : qui commet le péché est esclave du péché. L’esclave ne demeure pas pour toujours dans la maison ; le fils, lui, y demeure pour toujours. Si donc le Fils vous rend libres, réellement vous serez libres. Je sais bien que vous êtes la descendance d’Abraham, et pourtant vous cherchez à me tuer, parce que ma parole ne trouve pas sa place en vous. Je dis ce que moi, j’ai vu auprès de mon Père, et vous aussi, vous faites ce que vous avez entendu chez votre père. » Ils lui répliquèrent : « Notre père, c’est Abraham. » Jésus leur dit : « Si vous étiez les enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham. Mais maintenant, vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a pas fait. Vous, vous faites les œuvres de votre père. » Ils lui dirent : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution ! Nous n’avons qu’un seul Père : c’est Dieu. » Jésus leur dit : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car moi, c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens. Je ne suis pas venu de moi-même ; c’est lui qui m’a envoyé. » 

​

La longue montée vers Pâques nous a permis, une fois de plus, de repérer nos esclavages intérieurs et nos aliénations, et de les amener à la lumière de Jésus :

Esclavage du temps mal dominé, esclavage des choses mal possédées, esclavage des désirs, des craintes et des tristesses, esclavage des idoles, œuvres de nos mains, de notre esprit, ou images de notre cœur.

Et nous voilà devant Dieu avec notre soif de liberté, avivée par tant d'années de lutte et d'échecs. Or Dieu nous répond par la voix de son Fils: "C'est la vérité qui fera de vous des êtres libres".

Être libre, de la liberté des fils de Dieu, cela suppose donc une rencontre de la vérité, une expérience vécue de la vérité.

Mais qu'est-ce que la vérité ?

D'instinct, nous pensons à notre vérité, à cette existence authentique que nous cherchons à travers joies et souffrances ; nous évoquons cette transparence à nous-mêmes et aux autres, si difficile à réaliser. Et nous faisons fausse route, car la vérité, pour Jésus, c'est avant tout la réalité de Dieu, de ce Dieu qui est stable, fidèle, vivant et source de vie ; la vérité, c'est aussi ce que Dieu dévoile de lui-même et que lui seul peut révéler.

Or le dévoilement de la réalité inouïe de Dieu se fait en Jésus-Christ. Jésus est pour nous, tout à la fois, dévoilement de la vérité de Dieu et ouverture de la vie de Dieu qui veut être partagée. Jésus manifeste la réalité de Dieu et il communique sa vie. Il montre et il donne ; il est chemin et vie. Il est pour nous signe et moyen de salut : le grand sacrement de Dieu.

Dès lors, connaître la vérité, rencontrer la vérité, c'est rencontrer Jésus, Fils de Dieu, "en qui habite corporellement toute la plénitude divine" (Col 2,9), "en qui se trouvent, cachés, tous les trésors de la sagesse et de la science" (Col 2,3).

Rien d'autre ne peut nous apporter la libération ; rien d'autre, ni personne, ne nous mènera à la liberté des enfants de Dieu. Mais si le Fils lui-même nous affranchit, alors nous serons vraiment libres pour aimer et servir.

Notre liberté passe par la sienne ; notre vérité personnelle nous sera dévoilée, au rythme voulu par l'Esprit Saint, mais toujours dans une rencontre avec le Christ, vérité de Dieu pour le monde.

La grande affaire pour nous, l'unique nécessaire, c'est donc de devenir vraiment ses disciples, des hommes et des femmes qui guettent ses paroles, ses réactions, ses habitudes, qui se passionnent pour sa pensée, et qui lui font une confiance éperdue, sachant bien qu'une seule parole de lui aujourd'hui peut nous vivifier jusqu'au-delà de la mort.

C'est cela, sans doute, "demeurer dans sa parole".

La pécheresse onction des pieds de Jésus

« Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »

(Lc 7, 36-50)

 

« En ce temps-là, un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table. Survint une femme de la ville, une pécheresse. Ayant appris que Jésus était attablé dans la maison du pharisien, elle avait apporté un flacon d’albâtre contenant un parfum. Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds, et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum. En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » Jésus, prenant la parole, lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. – Parle, Maître. » Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait les lui rembourser, il en fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’aimera davantage ? » Simon répondit : « Je suppose que c’est celui à qui on a fait grâce de la plus grande dette. – Tu as raison », lui dit Jésus. Il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé de l’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé d’embrasser mes pieds. Tu n’as pas fait d’onction sur ma tête ; elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. Voilà pourquoi je te le dis : ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. » Il dit alors à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. » Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? » Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! » 

 

 Curieuse invitation que celle du Pharisien : il a convié Jésus à son repas, mais il a évité soigneusement de trop se compromettre ; et Jésus a bien senti la nuance : pas d'eau sur les pieds, pas de parfum de joyeux avènement ; l'accueil est correct, sans plus.

La femme, elle, va se montrer incorrecte, surtout si l'on se réfère aux usages du temps. Or Jésus va louer son audace. Il en fallait beaucoup pour braver le mépris du Pharisien, mais ce jour-là la Galiléenne était prête à tous les risques.

En entrant, elle ne voit plus que Jésus, celui qui guérit, celui qui pardonne; elle va droit à lui, et son amour de convertie lui donne la force d'agir comme si elle était seule et de livrer au Christ, en une seule fois, non seulement ses cheveux et son parfum, c'est-à-dire tout ce qu'elle avait pour se faire belle et plaire au monde, mais ses larmes, c'est-à-dire sa détresse, sa lassitude de l'esclavage, son immense solitude dans le plaisir, son espérance d'être enfin comprise et accueillie pour le meilleur d'elle-même.

Elle qui a perdu l'honneur selon le monde et qui n'existe plus pour personne comme une personne, a pressenti qu'elle pouvait encore donner quelque chose à Jésus. Elle le donne maladroitement, avec fougue et réserve à la fois ; mais elle n'a que faire des nuances, qu'elle a désapprises depuis longtemps.

Venir pleurer sur les pieds de Jésus, les couvrir de parfum et de baisers, personne n'en aurait l'idée ; mais elle, la pécheresse, l'ancienne pécheresse, par ce langage du corps, va réussir à dire au Christ en même temps son amour et son respect.

La réponse de Jésus à Simon apparemment est limpide : "Ses péchés, ses nombreux péchés, ont été pardonnés parce qu'elle a montré beaucoup d'amour". Mais qu'est-ce qui est le premier dans le temps : le pardon, ou l'amour ? le pardon de Jésus ou l'amour de cette femme ?

Ici on pourrait comprendre de deux manières la pensée de Jésus. Ou bien Jésus veut dire : "Puisqu'elle a montré tant d'amour, je lui pardonne ses péchés" ; et dans ce cas le pardon vient après, pour sceller la rencontre. Ou bien Jésus renverse la perspective : "Si elle parvient à montrer tant d'amour, c'est qu'elle a fait d'abord l'expérience de mon pardon" ; et dans ce cas le pardon est au point de départ d'une nouvelle qualité de l'amour.

C'est dans ce dernier sens que va la petite parabole proposée par Jésus à Simon : une plus grande dette a été remise ; un plus grand amour est né. Dans le même sens aussi l'autre parole de Jésus : "Celui à qui on pardonne peu, montre peu d'amour".

En réalité les deux approches coexistent dans cette page d'évangile ; et ce qui ressort avec certitude, c'est le lien direct entre l'amour et le pardon.

Toute démarche d'amour pauvre et humble de notre part appelle une parole libératrice de Jésus : "Tes péchés te sont remis !" ; et toute expérience du pardon de Jésus rend notre amour pour lui plus intense, plus direct et plus audacieux : "confiant jusqu'à l'audace" (Thérèse de l'Enfant Jésus).

Et c'est bien ce que nous expérimentons dans toutes nos démarches de conversion, et spécialement dans le sacrement où nous fêtons le pardon du Christ : jamais nous ne sommes plus vrais dans notre amour que lorsque nous nous approchons du Seigneur en lui disant, à vingt-cinq ans, à cinquante ou à soixante-dix : "Jésus, j'ai besoin d'être sauvé !"

Plante dans un pot de fleur avec cœur

« Toute plante que mon Père du ciel

n’a pas plantée sera arrachée »

(Mt 15, 1-2.10-14)

 

« En ce temps-là, des pharisiens et des scribes venus de Jérusalem s’approchent de Jésus et lui disent : « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? En effet, ils ne se lavent pas les mains avant de manger. » Jésus appela la foule et lui dit : « Écoutez et comprenez bien ! Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur. » Alors les disciples s’approchèrent et lui dirent : « Sais-tu que les pharisiens ont été scandalisés en entendant cette parole ? » Il répondit : « Toute plante que mon Père du ciel n’a pas plantée sera arrachée. Laissez-les ! Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou. »

 

 Ce jour-là le débat s'est très fort animé.

Les Pharisiens et des scribes, venus exprès de Jérusalem, accusent Jésus de transgresser la tradition des anciens ; "Tes disciples ne se lavent pas les mains au moment de prendre leur repas". Et Jésus leur répond en trois temps.

D'abord, leur dit-il, au nom de votre tradition, transmise oralement de maître à maître, vous annulez la parole de Dieu. Vous admettez, par exemple, que l'on dise à son père ou à sa mère : Les biens dont j'aurais pu t'assister, qorban : je les consacre à Dieu !" De telles théories dénaturent le plan de Dieu, et disqualifient leurs inventeurs. Ce sont des guides aveugles, des plantes que le Père n'a pas plantées lui-même et qu'il ne veut pas voir fructifier.

Puis – et c'est là sa deuxième réponse – Jésus cite le prophète Isaïe : " Ce peuple m'honore des lèvres ; mais leur cœur est loin de moi. Vain est le culte qu'ils me rendent : les doctrines qu'ils enseignent ne sont que des préceptes humains" (Is 29,1).

Après quoi Jésus saisit l'occasion pour délivrer un enseignement solennel et définitif. Il appelle la foule auprès de lui, et il déclare : "Écoutez et comprenez. Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme (ou qui rend l'homme impur), mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l'homme".

Et Jésus d'expliquer : Ce qui rentre dans la bouche vient de l'extérieur. Ce sont des aliments que le corps va assimiler ou rejeter. D'instinct, d'ailleurs, on prend soin de ne pas manger de choses sales ou nuisibles. Ce qui vient de l'extérieur, ou bien le corps en profite, ou il n'en fera rien.

Tout ce qui sort de la bouche, au contraire, vient du profond de l'être, que les hommes de la Bible appellent le cœur (lÄ“b). Le cœur, dans la Bible, c'est une notion centrale, parce que le cœur, pour les hommes de l'Ancien Orient, servait d'abord à comprendre, puis ensuite à aimer et à vouloir. Les "hommes de cœur" étaient des gens intelligents, les "sages de cœur" passaient pour des hommes avisés et de bon conseil. Le cœur était bien le siège des émotions, mais surtout l'instance de la réflexion, de la décision et de l'engagement. Le cœur, c'était le tout de l'homme intérieur, la source de la liberté, pour le meilleur et pour le pire.

Et Jésus donne quelques exemples du pire : "Du cœur procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations" ; et il ajoute : "Voilà les choses qui souillent l'homme".

Ce n'est pas le monde créé qui est comme traversé par la frontière du pur et de l'impur, comme le pensaient les Pharisiens, c'est le cœur de l'homme, c'est-à-dire sa conscience, son vouloir, sa liberté, qui va donner sa valeur à tout ce dont il rêve, à tout ce qu'il dit, à tout ce qu'il fait.

Le mal n'est pas dans les choses, mais dans la manière de les posséder, de les utiliser ou de s'en rendre esclave. Le mal n'est pas dans le vin, mais dans l'abus d'alcool. Le mal n'est pas dans l'amour, mais dans la manière dont on l'avilit. Le mal n'est pas dans Internet, ni dans les biens de la culture, mais dans l'usage qu'on peut en faire pour pervertir les intelligences et asservir les cœurs.

"Écoutez et comprenez", dit Jésus. Laissez vivre votre cœur pour le meilleur de vous-mêmes. Apprenez la liberté des vrais enfants de Dieu.

Tu as les paroles de la vie éternelle

« Tu as les paroles de la vie éternelle »

(Jn 6, 60-69)

 

« En ce temps-là, Jésus avait donné un enseignement dans la synagogue de Capharnaüm. Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !… C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. » À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » 

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« Cette parole est rude ! Qui peut continuer à l'écouter ? »

 Que disait Jésus, qui fût à ce point intolérable ? – « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». Et Jésus insistait, présentant ces mêmes actions sous la forme d'une nécessité, d'une obligation : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'Homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie ! »

Si les disciples avaient pu comprendre immédiatement, loin de se scandaliser, ils se seraient émerveillés devant cette initiative de Jésus.

Depuis des siècles, en Israël, tout sacrifice à Dieu passait par une destruction : ou bien le sang jaillissait d'un être vivant, ou bien des produits du sol partaient en fumée.

Or Jésus, sans aucune critique, met fin définitivement à ce régime provisoire. Son sang sera le dernier versé, son corps sera livré une fois pour toutes ; et désormais les croyants s'uniront à son sacrifice ultime dans le rite d'un repas fraternel, à travers des gestes de vie : manger et boire, et à travers une présence qui sera vraie, immédiate, intensément personnelle, mais qui ne pourra jamais être matérialisée.

Jésus, délibérément, tourne le dos aux sacrifices anciens, à feu et à sang, et il garde, comme uniques signes de son passage pascal et de sa présence, le pain et le vin, qui symbolisent pour tout homme le quotidien, l'indispensable, le vital : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'Homme, vous n'aurez pas la vie en vous ! »

Jésus nous laisse donc les signes que sont le pain et le vin. Mais ces signes ne parlent à l'homme que par les paroles de Jésus. Quand nous revivons chaque matin le sacrifice pascal du Seigneur, il n'y a pas à s'étonner que l'Eucharistie soit pour nous à la fois attirante et opaque, à la fois proximité et distance, à la fois certitude et mystère de la foi ; car, à chaque messe, c'est encore la parole de Jésus qui affirme, qui opère, qui garantit. « Ceci est mon sang » : nous n'avons pas d'autre entrée dans le mystère que ces paroles du Seigneur vivant, pas d'autre appui pour notre foi que ces courtes phrases qui sont pour nous esprit et vie.

Pour les sens de l'homme, pour ses yeux, ses mains, son palais, il n'y a jamais immédiateté entre les signes du pain et du vin et la réalité inouïe dont Dieu les charge. Nous le savons par expérience : à la messe, il y a toujours une distance à traverser par la foi, il y a parfois le moment de l'étonnement, de l'achoppement, surmonté à chaque fois par les mêmes paroles du Christ, dont l'Église est porteuse depuis deux mille ans : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang. »

Seul l'Esprit de Jésus, l'Esprit Paraclet "transmis" au monde grâce à la passion glorifiante du Seigneur, seul l'Esprit de la vérité peut rendre vivantes en nous ces paroles de vie. Car c'est l'Esprit qui vivifie, qui nous branche sur les forces de la résurrection, qui nous remémore les paroles de Jésus et en fait la certitude d'aujourd'hui.

La chair, à elle seule, ne sert de rien. La « chair », au sens biblique, c'est-à-dire tout l'homme, corps, intelligence et cœur, l'homme avec ses richesses, mais avec son indice de fragilité, son besoin d'évidences et ses impatiences devant les choix de Dieu.

Aujourd'hui encore, dans quelques instants, nous allons revivre, en notre nom et au nom de toute l'humanité qui attend le salut, le scandale et le mystère de la première Eucharistie. Que l'Esprit Paraclet, appelé solennellement sur les dons de l'Église, nous donne la joie de faire fond sur la seule parole de Jésus :

« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle.

 Et nous, nous avons cru, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu. »

Sépulcres blanchis à la chaux

Vous avez l’apparence d’hommes justes... »

(Mt 23, 27-32)

 

« En ce temps-là, Jésus disait : « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis à la chaux : à l’extérieur ils ont une belle apparence, mais l’intérieur est rempli d’ossements et de toutes sortes de choses impures. C’est ainsi que vous, à l’extérieur, pour les gens, vous avez l’apparence d’hommes justes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et de mal. Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous bâtissez les sépulcres des prophètes, vous décorez les tombeaux des justes, et vous dites : “Si nous avions vécu à l’époque de nos pères, nous n’aurions pas été leurs complices pour verser le sang des prophètes.” Ainsi, vous témoignez contre vous-mêmes : vous êtes bien les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes. Vous donc, mettez le comble à la mesure de vos pères ! » 

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Le contraste entre le dehors et le dedans, le divorce entre l'apparence et la réalité, Jésus n'aurait pas de mal à les déceler dans notre vie comme autrefois dans celle des Pharisiens ; et il nous arrive parfois d'éprouver l'impression désolante d'une inauthenticité qui colle à notre vie, personnelle ou communautaire. Nous connaissons donc bien les souffrances d'un cœur partagé : elles risqueraient même, à certains jours de nous paralyser. Tant de grâces reçues du Seigneur, tant de lumières qui ont guidé notre route vers lui, tant d'années déjà vécues à son service, et au bout du compte une perception plus vive que jamais de notre misère et de notre impuissance !

Le Seigneur n'a même pas besoin de nous dire, comme aux scribes et aux pharisiens : "Malheureux êtes-vous !" ; c'est nous qui arrivons à lui, pas fiers du tout, pour lui redire, comme le Psalmiste : "Je suis trop malheureux !"

Je voulais une vie toute consacrée à ton règne, et me voilà encombré de restes inutiles, ceux de mes projets trop humains. Je me voulais léger sur la route, sans sac ni bâton, et me voilà retenu par tant de liens !

Mais vient un jour, et c'est un jour de grâce, où nous comprenons qu'il ne servirait à rien de sauver les apparences et de crépir les façades, car il est impossible de faire illusion à Dieu. Devant lui nous sommes à découvert, pris dans une lumière de bonheur qui ne laisse aucune ombre. Devant lui rien ne servirait de vouloir embellir ou protéger l'image de nous-mêmes, car il ne se réfère qu'à une seule Image, celle de son Fils bien-aimé, et c'est cette Icône-là que patiemment il reproduit dans notre cœur. Devant lui nos choix prennent leur valeur éternelle ; nos possessions, nos désirs et nos œuvres pèsent leur vrai poids, celui de l'amour.

Dieu nous est plus intime que l'intime de nous-mêmes, comme disait Augustin ; son regard voit dans le secret et son Esprit scrute nos profondeurs. Dès lors ce qui nous rendra authentiques, c'est de nous vouloir transparents à ce regard de Dieu, pour qui il n'y a ni dedans ni dehors. Ce qui écartera, de notre vie personnelle comme de no­tre témoignage communautaire, toutes les distorsions entre l'être et le paraître, c'est de redire comme Augustin dans la confiance et l'humilité : "Tu nous as faits pour toi, Seigneur", chacune et toutes ensemble. Ce qui effacera de notre cœur les déformations de l'image de Dieu, c'est de regarder longuement le Fils unique recevant du Père toute sa vie et toute sa mission.

Quand nous entendons le Christ appeler si vigoureusement ses contemporains à la vérité intérieure, loin d'écarter son message comme sévère et pour nous hors de saison, nous pouvons y lire sa volonté de réussir l'homme et de lui conférer toute sa dignité. Un désir monte alors en nous, frais comme notre enfance, celui d'être vrais jusqu'au bout dans notre amour, dans notre prière, dans notre service ; et la prière qui nous vient au cœur est la demande du psalmiste à son Dieu : "Unifie mon cœur pour qu'il révère ton Nom !" Unifie en moi l'homme qui veut paraître et "l'homme caché du cœur".

Nous jetons alors tout notre espoir d'authenticité en Celui que Marie elle-même appelait "mon Sauveur". Nous cessons de regarder avec tristesse nos calculs et nos compromis pour prêter l'oreille aux promesses de Dieu. Le malheur aussitôt se change en Béatitude, et nous entendons Jésus nous redire, comme aux foules du Lac : "Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice".

Bienheureux ceux qui mettent leur joie à s'ajuster au vouloir du Père.

Vous filtrez le moucheron

Vous filtrez le moucheron,

et vous avalez le chameau ! »

(Mt 23, 23-26)

 

« En ce temps-là, Jésus disait : « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste. Guides aveugles ! Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ! Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous purifiez l’extérieur de la coupe et de l’assiette, mais l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance ! Pharisien aveugle, purifie d’abord l’intérieur de la coupe, afin que l’extérieur aussi devienne pur. » 

 

 

Sans cesse Jésus appelait ses contemporains à un vrai discernement, dans les choses de la foi comme dans le comportement moral, et son insistance même montre bien qu'il avait affaire à forte partie. De fait une fraction agissante des Pharisiens, maîtres à penser des classes moyennes, en venait à ligoter littéralement les âmes, transformant toute la vie quotidienne en cérémonial. Pour stopper cette entreprise de déformation des consciences, Jésus s'attaque énergiquement à trois des contrefaçons de la fidélité.

La première consiste à pousser un principe sain jusqu'à des conséquences extrêmes qui deviennent invivables et ridicules. Ainsi le Lévitique prévoyait : "Toute dîme prélevée sur les produits de la terre appartient à Yahweh" (Lv 27,30), et les Pharisiens interprétaient : la menthe, le fenouil, le cumin sont aussi des produits de la terre ; donc vous paierez un impôt sur les fines herbes ! Et à force de se complaire dans ces minuties toutes matérielles, ils en venaient à négliger l'essentiel de la réponse à Dieu : le jugement droit, la miséricorde et la fidélité.

Évidemment nous sommes prompts à jeter la pierre aux Pharisiens ; c'est une manière de nous disculper à bon compte. En réalité, combien de minuties mangent, dans nos vies, le temps que nous avons voué à l'amour de Dieu ; quelle dose de routine se mêle à nos journées de rédemption ! Quel temps nous passons à dérouler, en fraternité et même dans la solitude, le petit cérémonial de nos manies, et lorsque, en communauté, des décisions sont à prendre qui impliquent une conversion des cœurs, combien souvent nous nous enlisons dans des minuties, en négligeant les grands équilibres de la vie chrétienne, beaucoup plus urgents, beaucoup plus porteurs de véritable amour.

Autre contrefaçon de la fidélité. On filtre les moucherons, et on avale n'importe quoi. Là, le manque de discernement est flagrant ; on perd son temps et ses forces à prévenir des dangers imaginaires, et l'on boit à grandes gorgées des breuvages qui tuent. On conteste des mots, on s'enflamme pour des détails, on exige de tous les plus fines nuances, sans percevoir à quel point l'on est imprégné, personnellement et communautairement, par des modes de pensée ou des réflexes qui tournent le dos à l'Évangile de Jésus.

Fausse fidélité, enfin, celle qui se contente de sauver les apparences, de soigner la présentation extérieure. Le plat est rangé ; on admire même comment il est astiqué. Mais regardez à l'intérieur : il y a des restes qui fermentent. Notre personnage de chrétien est intact ; mais le fond de notre cœur n'est pas encore transformé par la nouveauté de l'Évangile. Nos principes chrétiens ont tenu bon, mais la vie quotidienne ne suit pas toujours. Disparité entre les exigences que nous posons et la profondeur réelle de notre engagement. Aux yeux de tous, nous sommes habiles à présenter le beau côté du plat - nous avons même parfois tout un dressoir - mais Dieu, qui voit dans le secret, connaît bien nos misères, et entreprend, par amour, de nous les révéler.

C'est bien pourquoi chaque jour, à l'Eucharistie, nous avons à implorer le pardon du Seigneur. Au niveau communautaire également, quelle lucidité il nous faudrait pour que le vin corresponde vraiment à l'étiquette, pour que la clarté de nos maisons reflète vraiment l'ouverture de nos cœurs ! "Pharisien aveugle, disait Jésus, purifie d'abord le dedans de la coupe, pour que le dehors aussi devienne pur". Cela paraît automatique à Jésus : si  le dedans est net, le dehors suivra ! Et malgré le paradoxe, c'est lui qui a raison : un cœur unifié n'a pas à s'inquiéter de son rayonnement : Dieu déjà s'en charge à son insu. Un foyer fervent, une communauté passionnée d'amour fraternel, et qui vit une vraie conversion intérieure, trouvera toujours, le moment venu, les mots du témoignage ; et même si elle se tait, les pierres le crieront, sa vie criera.

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