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COMMENT
SUIVRE JÉSUS

Comment suivre Jésus qui tend la main

© Brent Borup artwork

Sommaire de la page

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  • Conditions pour suivre Jésus (en images) et bénéfices

  • Prière pour suivre Jésus

  • Évangiles commentés sur le thème du chemin à choisir et des conditions pour suivre Jésus​ aujourd'hui

Ceux qui ont choisi de suivre le Christ sont des hommes conquis et chercheurs de la vérité. Ils prennent un chemin qu'ils savent être difficile mais ont confiance en la Présence de Dieu qui les guide comme le Bon Berger.

Conditions pour suivre Jésus et bénéfices

Croix scintille dans l'obscurité

Suivre Jésus c'est voir Sa lumière

scintiller dans l'obscurité des épreuves de la vie

Jésus je te suivrai

Quitter cette obscurité et s'envoler vers sa lumière

Protection de Jésus

Se mettre sous la protection de sa Toute-Puissance, recevoir son Amour extravagant,

savoir qu'il fera en sorte que nous tirions des bénéfices des embûches que l'ennemi mettra sur notre chemin.

Jésus brise les chaînes du mal

Briser les chaînes du mal qui est toujours là à nous tenter pour nous éloigner de Dieu, et qui nous fait craindre la mort comme une fin définitive de la vie. Briser les chaînes pour faire plus de bien sur terre, avec l'aide de Jésus, et pour vivre avec lui éternellement ensuite, sans craindre la mort qui n'est qu'un passage.

Quitter l'obscurité pour la lumière

Casser la bulle du néant
et trouver un trésor de lumière

Jésus sauve de la noyade

Sortir la tête hors de l'eau

Jésus présent partout

Ne plus jamais être seul(e)

Saisir la main tendue de Jésus

Saisir sa chance

Suvire Jésus c'est prendre un nouveau chemin

Commencer un nouveau chemin...

Protection de la croix de Jésus face à l'ennemi

C'est aussi se mettre à l'abri
tout-puissant de la croix.

Je veux suivre Jésus

Il suffit de dire à Jésus « oui, je veux te suivre »,
Et pour mieux le connaître, on peut lire des passages de ses Évangiles.

Prière pour suivre Jésus

Jésus, je te cherche et je voudrais te connaître, je me repens de ce que j'ai fait de mal dans ma vie jusqu'à présent et je te donne mon cœur car je voudrais que tu entres dans vie pour me guider, me conseiller et j'ai besoin de ton amour.  Je voudrais te suivre et j'ignore comment procéder, aide moi à te rencontrer, à te trouver. Merci Jésus.

Pour savoir :

  • comment faire une rencontre personnelle avec Jésus

  • les conditions pour suivre Jésus plus en détail, lire les pages :

Extraits d'Évangiles sur le thème du chemin à choisir pour suivre Jésus aujourd'hui

Je vous ferai pécheur d'hommes
Pauvre veuve du Temple
J'étais en prison et vous êtes venu à moi

« Aussitôt, laissant leurs filets,

ils le suivirent »

(Mt 4, 18-22)

 

« En ce temps-là, comme Jésus marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. De là, il avança et il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque avec leur père, en train de réparer leurs filets. Il les appela. Aussitôt, laissant leur barque et leur père, ils le suivirent. »

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"Venez, suivez-moi", dit Jésus.

Il dit cela par deux fois, en marchant au bord de la mer de Galilée, et quatre hommes les suivent, quatre hommes qui vivaient de la pêche. Mais l'appel de Jésus nous concerne tous. Dans notre vie à tous et à toutes, Jé­sus est passé et il passe, en disant : "Viens, suis-moi !" Que nous soyons mère de famille ou religieuse, artisan, employé ou moine, l'évangile fait retentir dans notre vie, et donc dans notre cœur, l'appel de Jésus.

Essayons donc de comprendre, à partir de l'exemple des Apôtres, ce que le Jésus attend de nous.

Il est clair, tout d'abord, que c'est Jésus qui appelle.

Les maîtres, les professeurs, les gourous, on les choisit soi-même, parfois entre cent ; mais avec Jésus, c'est différent : il prend l'initiative, il passe, il s'arrête, il invite : "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, dira Jésus lors du dernier repas; mais c'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez, vous, et que vous portiez du fruit" (Jn 15,26).

Ce n'est pas nous qui avons fait un cadeau à Dieu, qui avons fait à Jésus l'honneur de le suivre, mais lui qui nous a fait suffisamment confiance pour nous prendre à son service.

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Suivre Jésus, pour nous comme pour les apôtres, c'est marcher derrière lui, aller où il va, travailler là où il travaille, à son œuvre de rédemption, accueillir ceux qu'il accueille, et chercher ce qu'il cherche: des adorateurs pour le Père.

Mais si Jésus amène dans nos vies certaines ruptures, il s'occupe, lui, de la continuité.

Nous resterons des hommes de la pêche, mais nous pêcherons avec le Pêcheur d'hommes. Jésus nous demandera souvent une transposition de tout notre agir ; il fera servir nos capacités, mais à un autre niveau, celui du Règne de Dieu en marche. Rien ne sera perdu du passé, de l'amour de la mer, du savoir-faire acquis dans la barque de Zébédée, et pourtant il faudra tout réapprendre, à l'école du nouveau Maître.

À travers les ruptures, c'est bien notre vie qui continue, notre réponse personnelle à Jésus ; mais pour chacun/e d'entre nous l'appel de Jésus demeure un mystère.

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Tous nous sommes appelés; nous sommes conviés à travailler à plein temps dans le champ du Père, à moissonner, ou à glaner, dans la moisson de Jésus.

Qui que nous soyons, nous pouvons rendre ce témoignage que les moments où nous sommes le plus fidèles à cet appel sont dans notre vie les instants ou les périodes de plus grande plénitude. Savons-nous, voulons-nous suffisamment offrir ce témoignage à ceux et celles que le Christ met sur notre route, spécialement les jeunes qui veulent donner un sens à leur vie ?

Sans doute ont-ils besoin, plus que jamais, pour répondre à leur tour à l'invitation de Jésus : "Viens, suis-moi !", de voir en nous des appelés heureux, des baptisés qui n'ont pas été déçus dans leur amitié avec le Christ, bref des passionnés de Jésus Seigneur.

« Cette pauvre veuve a mis

plus que tous les autres »

(Lc 21, 1-4)

 

« En ce temps-là, comme Jésus enseignait dans le Temple, levant les yeux, il vit les gens riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor. Il vit aussi une veuve misérable y mettre deux petites pièces de monnaie. Alors il déclara : « En vérité, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. Car tous ceux-là, pour faire leur offrande, ont pris sur leur superflu mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. »

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Que nous le voulions ou non, nous vivons au siècle de la rentabilité. En un sens, c'est une bonne chose, car on ne nourrit pas une famille ou un pays simplement avec des rêves ou de bonnes intentions ; on ne lutte pas contre la faim dans le monde en restant au plan des principes et des discours.

Cependant, même lorsque consciemment et courageusement nous essayons de faire passer dans notre vie le Christ avant l'argent, notre souci de rentabilité est mis parfois au service de visées égoïstes. À force de vivre dans un monde où tout se compte, tout se calcule, tout se comptabilise, nous finissons, sans le vouloir, par jauger les hommes avant tout en fonction du poids qu'ils ont dans l'économie, en fonction de l'influence mesurable qu'ils exercent, en fonction du travail effectif et des services que nous pouvons attendre d'eux.

Tout autres sont les habitudes de Dieu, car, pour Celui qui crée et qui sauve, ce que l'homme porte de plus profond en lui-même importe beaucoup plus que tout son avoir. Les apparences n'impressionnent pas Dieu, parce que, avant tout, il regarde le cœur. Et c'est la grande leçon de l'évangile d'aujourd'hui : la qualité du cœur qui donne importe plus que la quantité qui est donnée.

Aujourd'hui encore, en quelque sorte, le Christ vient s'asseoir parmi nous, et regarde tranquillement ce que nous apportons, ce que nous sommes prêts à sacrifier pour le Royaume, ce que nous lui donnons de notre temps, de nos forces, de nos projets, de notre intelligence et de notre affectivité. Aura-t-il les restes ? Devra-t-il se contenter de notre superflu ? Ou bien donnerons-nous, comme cette veuve, "ce que nous avons pour vivre" ?

Nous le savons bien : il ne peut être question de faire la part du feu, de découper dans l'ensemble de nos biens et de nos forces un lot pas trop mesquin qui sera la part du Christ, car déjà tout lui appartient, et nos richesses (richesses matérielles, dons de l'intelligence ou du cœur) n'ont de sens, pour nous disciples du Christ, que si elles sont investies en vue du Règne de Dieu, de l'amour et de la paix.

La lumière de l'Évangile vient justement changer nos idées habituelles sur le don et l'indignité, sur la richesse et la pauvreté. On peut gérer de grands biens et être pauvre de cœur ; on peut aussi n'avoir que quelques atouts dans la vie et les posséder avec un cœur de riche. Est riche, selon l'Évangile, celui qui se crispe sur ce qu'il a. Or on peut se crisper sur ses richesses : confort, argent, culture, valeurs héritées du milieu, histoire passée, indépendance de vie, comme on peut se crisper sur ses carences, sur ses limites, ses échecs ou sa fragilité. De toute façon, dès qu'il y a en nous crispation sur un avoir ou sur un manque, c'est le signe que nous tournons le dos à l'espérance que le Christ nous a apportée.

Avec lui, au contraire, toute audace est permise, car il nous donne lui-même de quoi donner ; et quand bien même nous aurions toutes raisons de douter de nos forces ou de la valeur de nos apports, nous voyons chaque jour devant nous tous ceux que le Seigneur nous confie "afin que pas un ne se perde" ; et cette mission du Ressuscité sera toujours plus vraie que nos mensonges, plus belle que nos laideurs, et plus impérieuse que nos faiblesses.

« C’est à moi que vous l’avez fait »

(Mt 25, 31-46)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !” Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes- nous venus jusqu’à toi ?” Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.” Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »

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Étrange besogne pour celui qui est venu rassembler les hommes et les appeler à l'unité de son Corps. Et pourtant le message est clair, et ineffaçable : Jésus jugera ; il aura le dernier mot, il dira pour chacun le dernier mot. Et le critère du discernement, face au définitif, face à l'éternité, ce sera l'amour fraternel, l'amour terrestre vécu au nom du Christ. Il s'agira de faim, de soif, de chaussures et de paletots, d'hôpitaux et de prison. Il s'agira des besoins de nos frères et sœurs, du bien-être de nos frères et sœurs, de la solitude de nos frères et sœurs. Et pour chacune de nos initiatives d'amour, pour chacune aussi des occasions négligées, Jésus dira : "J'ai pris cela pour moi".

L'Évangile évoque ici l'avènement du Fils de l'Homme et son rôle de Juge pour souligner l'importance de la charité concrète dans l'existence quotidienne du chrétien. On ne peut guère parler, à propos de ce texte, d'une « parabole » du jugement dernier, car le seul élément de parabole est la mention du berger, des brebis et des chevreaux (qui rappelle Ez 34) ; tout le reste se présente comme un dialogue entre le Roi et les hommes jugés. Dialogue stylisé et très sobre, tout à fait dans la manière de Jésus.

Versets 31-33 : Trois versets situent rapidement la scène. Le décor n'est pas décrit pour lui-même : l'Évangile re­prend seulement quelques thèmes bien connus de l'apocalyptique juive (littérature de révélation). Le mystérieux Fils de l'homme, personnage céleste, apparaît ici à la fois comme roi (sur un trône) et comme juge de toute l'humanité (les nations).

Versets 34-36 : Quelques exemples suffisent à résumer toutes les détresses humaines : des hommes ont faim et soif ; ils ont froid. Des immigrés, privés de tout droit, ne trouvent nulle part accueil ou protection. Des malades et des prisonniers vivent isolés, oubliés dans leur monde parallèle. Croyants ou non, ce sont des hommes qui souffrent, et le berger d'Israël se déclare solidaire de toutes ces souffrances.

Versets 37-40 : Les justes, croyants ou non, se souviennent peut-être des services qu'ils ont rendus, mais ils n'ont pas conscience d'avoir accueilli ou dépanné Celui qui maintenant les juge. Ils n'ont rencontré que des hommes désemparés, des « petits », des gens qui ne comptaient pas dans la société. Ils ont donné, comme en passant, un peu de leur temps et de leur cœur.

Or le Fils de l'homme a pris cela pour lui...

Versets 41-46 : Dans l'ordre de la charité, s'abstenir, c'est pécher. Celui qui passe, sans réagir, à côté d'une détresse, manque une rencontre avec le Christ. Le Fils de l'homme s'identifie en quelque sorte avec tous ceux qui ont besoin de secours. Il est évident que l'homme à aider ne devient pas pour autant automatiquement le Christ, car il se peut qu'il soit, par sa volonté, hostile à Dieu. Jésus s'identifie à lui en tant qu'il est dans le besoin, en tant qu'il est un appel à l'amour. Dès lors est dû au Christ tout ce qui est dû à cet homme, quoi qu'il en soit de ses dispositions profondes. Il n'y a donc pas dilution de la personne du Christ, mais acte souverain du Seigneur qui veut être le garant de ses pauvres.

Poutre dans l'Å“il

« Enlève d’abord

la poutre de ton œil »

(Mt 7, 1-5)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Ou encore : Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » 

 

Quand on a une poussière dans l'œil, on est forcé de s'en remettre au prochain.

Si je n'y vois plus, je ne peux plus m'en tirer tout seul, et je fais appel à celui qui voit : délicatement, avec un coin d'étoffe, il va tenter de me délivrer.

Et celui qui voit bien se sent un instant en supériorité. Mais Jésus nous en avertit : quand il s'agit du cœur des autres, il n'y a pas de supériorité.

Aucun de nous ne peut dire : "Viens, je vais te libérer, je vais te dire ton erreur, je vais ôter ta faute".

Car nous sommes nous-mêmes aveuglés, et aveugles sur nous-mêmes, incapables de travailler en finesse dans le cœur des autres, parce que nous ne sommes pas au clair avec notre propre cœur.

Il nous faut, à nous aussi, commencer par faire confiance, et dire : "Dieu seul voit ; je ne peux m'en tirer tout seul ; je fais appel à Dieu qui voit".

Et dans la mesure où Dieu aura guéri notre œil, aura changé notre regard, aura purifié notre manière de voir, nous pourrons, avec compassion et humilité, nous mettre un instant au service de notre frère, non pas comme un juge qui condamne de haut, mais comme un malade aide un autre malade, comme un homme pardonné pardonne à son tour, car Dieu mesurera pour nous avec notre propre mesure.

devenez comme les enfants

 Gardez-vous de mépriser

un seul de ces petits »

(Mt 18, 1-5.10.12-14)

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« À ce moment-là, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le royaume des Cieux ? » Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux. Et celui qui accueille un enfant comme celui-ci en mon nom, il m’accueille, moi. Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux. Quel est votre avis ? Si un homme possède cent brebis et que l’une d’entre elles s’égare, ne va-t-il pas laisser les 99 autres dans la montagne pour partir à la recherche de la brebis égarée ? Et, s’il arrive à la retrouver, amen, je vous le dis : il se réjouit pour elle plus que pour les 99 qui ne se sont pas égarées. Ainsi, votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu. »

 

 En nous proposant l'enfant comme modèle, Jésus nous prend à contre-pied de nos réflexes habituels : Nous aimons maîtriser la situation : l'enfant, lui, se laisse faire. Nous défendons férocement notre autonomie : l'enfant accepte la dépendance. Nous nous défions des autres : l'enfant trouve normal d'être aimé.

 

C'est ainsi qu'il nous faut accueillir le Royaume des Cieux c'est-à-dire le règne de Dieu sur notre intelligence, sur notre affectivité, sur tous les secteurs où notre liberté se cherche et s'exprime.

 

Il faut laisser à Dieu l'initiative et lui répondre sans crainte et sans complications, car Dieu est simple et veut pour nous la paix. Pour l'enfant, ce qui l'amène à faire effort c'est la certitude d'être aimé.

 

Et c'est bien aussi, pour nous, adultes, le point de départ de tout renouveau intérieur : la certitude que nous existons pour quelqu'un, que nous ne sommes pas seuls à nous débattre dans nos difficultés, mais que Dieu est là, dans notre vie, avec un projet paternel.

 

Dieu est là, toujours déjà là, faisant de nous ses fils et ses filles par la force de son Esprit, et nous ouvrant Sa vie, Sa joie, Sa paix. Et c'est cela le Royaume commence.

 

Dieu nous veut adultes, à la taille du Christ en sa plénitude, et c'est en adultes que nous le servons, que nous le prions. Il faut chaque jour nous laisser aimer, sans hésitations, sans questions inutiles, et c'est cela, devenir comme un enfant.

 

Les saints qui l'ont compris ont accédé à une nouvelle qualité de la vie ; ils ont trouvé le vrai port du salut.

Serviteur la lampe allumée

« Heureux les serviteurs

que le maître trouvera

en train de veiller »

(Lc 12, 35-38)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! » 

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Quand on se prépare à recevoir un personnage important, on se met d'habitude en dimanche. Mais pour accueillir le Christ dans notre vie, mieux vaut rester en habits de travail, en tenue de service, tellement il aime nous voir accomplir ce qui faisait sa joie et même sa nourriture : la volonté du Père des Cieux.

Aux yeux du Christ, rien n'est plus beau que l'ordinaire, l'ordinaire de nos vies, le quotidien où nous inscrivons notre amour pour lui en nous dévouant pour nos frères. "Que vos reins soient serrés par une ceinture ou un tablier", nous dit Jésus ; et il ajoute : "Que vos lampes soient allumées"; non seulement parce qu'il nous faut voir clair pour faire notre ouvrage, mais parce qu'il nous faut guetter le moment où Jésus frappera pour entrer. Et cette attitude-là : allumer la lampe, travailler en veillant, œuvrer en priant, assure ici-bas la joie du chrétien, la joie du fond de l'être, que Jésus décrit dans ses Béatitudes : "Bienheureux les serviteurs que le Maître, à son retour, trouvera en train de veiller !"

Cette béatitude des hommes et des femmes tout à leur service et tout éveillés dans la foi, le Christ nous la donnera en récompense quand il viendra nous prendre près de lui et qu'il nous servira à sa table. Mais à chaque Eucharistie déjà il vient vivre parmi nous, en nous, et il nous apporte, pour aujourd'hui, "rien que pour aujourd'hui", un acompte de joie, un début de béatitude.

Il ne nous sert pas encore à la table du ciel, mais, à la table de l'Église, déjà il nous nourrit de sa parole et de son Corps, lorsque nous venons à lui, en habits de tous les jours.

Nous avons à veiller comme le berger qui ne dort jamais que d'un œil, mais surtout pour attendre et accueillir Celui qui vient. Il vient non pas malgré les pauvretés et les incertitudes, mais dans ces indigences mêmes. Il nous rejoint dans notre service comme il a pris la condition de Serviteur, et par sa présence de Fils de Dieu, il nous donne de tout référer à la gloire du Père, les réussites comme les impuissances, les soucis comme les raisons d'espérer.

Parce que nous veillons pour lui, pour répondre immédiatement à son désir et à son dessein de salut, nous demeurons soucieux de voir clair. Et c'est le sens de nos réflexions et de nos échanges, en communauté ou entre responsables. Pour les problèmes qui nous concernent tous, nous ne voyons clair qu'ensemble, en allumant notre lampe à une autre flamme, à la flamme des autres, à la flamme du Christ transmise par les autres.

Il choisit douze disciples
L'épouse attend l'époux
Jésus les envoya guérir les malades

« Il choisit douze disciples

auxquels il donna le nom d’Apôtres »

(Lc 6, 12-19)

 

« En ces jours-là, Jésus s’en alla dans la montagne pour prier, et il passa toute la nuit à prier Dieu. Le jour venu, il appela ses disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d’Apôtres : Simon, auquel il donna le nom de Pierre, André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d’Alphée, Simon appelé le Zélote, Jude fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui devint un traître. Jésus descendit de la montagne avec eux et s’arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon. Ils étaient venus l’entendre et se faire guérir de leurs maladies ; ceux qui étaient tourmentés par des esprits impurs retrouvaient la santé. Et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous. »

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Jésus aimait la montagne. Après la cohue de ses journées de prédication et de guérisons, il aimait monter pour trouver la solitude, c'est-à-dire pour fêter dans le silence de son cœur d'homme la présence du Père qui ne le laissait jamais seul. Cette fois-là, Jésus passa toute la nuit "à prier Dieu ".

Ce qu'il nous appelle à vivre, Jésus l'a vécu ; et la prière de Jésus, la prière telle que Jésus la vivait, a toujours fasciné les chrétiens. En un sens elle est le modèle de notre propre prière ; mais elle est beaucoup plus encore : par l'Esprit Saint, la prière de Jésus devient le lieu de notre prière, et cela, non parce que nous y entrons, mais parce que Jésus lui-même, par son Esprit, nous y introduit.

Nous aimerions connaître sa prière de cette nuit-là, sur la montagne. En réalité nous avons encore mieux : sa prière éternelle, qui devient pour nous prière de chaque jour, parce qu'il nous y fait entrer, "tout éveillés dans notre foi".

Si nous n'avions que notre prière pour prier, notre louange demeurerait toujours décevante et balbutiante, marquée qu'elle est de "notre faiblesse", comme dit saint Paul ; ce serait toujours la prière de ceux qui ne savent pas prier "comme il faut", comme il faudrait (Rm 8,26). Mais l'Esprit de Jésus vient en aide à notre faiblesse, et il gémit à l'intime de nous-mêmes par des gémissements au-delà de toute parole, des gémissements qui sont en nous l'écho de la prière filiale de Jésus : "Abba, Père !"

Nous sommes chaque jour sur la montagne, puisque, dans l'Esprit, Jésus redit en nous sa prière. Jésus est toujours là où nous sommes, quand, par l'amour, nous le rejoignons là où il est, tout éveillés dans notre foi.

« L’ami de l’époux est tout joyeux

d’entendre la voix de l’époux »

(Jn 3, 22-30)

 

« En ce temps-là, Jésus se rendit en Judée, ainsi que ses disciples ; il y séjourna avec eux, et il baptisait. Jean, quant à lui, baptisait à Aïnone, près de Salim, où l’eau était abondante. On venait là pour se faire baptiser. En effet, Jean n’avait pas encore été mis en prison. Or, il y eut une discussion entre les disciples de Jean et un Juif au sujet des bains de purification. Ils allèrent trouver Jean et lui dirent : « Rabbi, celui qui était avec toi de l’autre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous vont à lui ! » Jean répondit : « Un homme ne peut rien s’attribuer, sinon ce qui lui est donné du Ciel. Vous-mêmes pouvez témoigner que j’ai dit : Moi, je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé devant lui. Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite. Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue. »

 

Voilà Jean le Baptiste parvenu au grand tournant de sa vie. Depuis de longs mois il était l'homme en vue au pays d'Israël, celui qui attirait les foules, celui qui retournait le cœur des croyants. Tout l'accréditait comme un prophète venu de Dieu : l'authenticité de sa vie aux confins du désert, la force de sa parole, courageuse et équilibrée à la fois, le succès du mouvement de renouveau spirituel et moral qu'il avait lancé au bord du Jourdain. Et voilà qu'on lui demande de prendre position face à Jésus, contre Jésus. Pour ceux qui viennent le consulter, tout se résume, en effet, dans un conflit d'influence ; et ils n'imaginent pas une minute que Jean, avec le tempérament qu'on lui connaît, puisse se laisser faire, se laisser déposséder de son audience et de sa mission.

La première réponse de Jean met tout de suite les choses au point : une mission n'est pas une tâche que l'on se donne à soi-même, mais une responsabilité de salut que l'on reçoit de Dieu : "Un homme ne peut rien recevoir, si cela ne lui a été donné du ciel".

Au-delà de la situation particulière de Précurseur, les paroles du Baptiste viennent clarifier et purifier nos propres attitudes. Nous n'avons, nous aussi, que ce qui nous a été donné du ciel. De même, et surtout, l'appel que nous avons reçu ne nous appartient pas. Ce n'est pas nous, en définitive, qui choisissons la maladie ou la santé, la renommée ou l'enfouissement, la rentabilité ou le service obscur. Notre forte conviction de tenir en mains un vrai projet de sainteté, une visée évangélique pour notre vie, pourrait nous faire oublier que nous ne sommes pas propriétaires des grâces que Dieu nous fait, même si notre liberté essaie d'y répondre à plein.

Quand la réussite spirituelle nous colle au doigt, quand nous mettons notre assurance dans le déjà vécu, quand notre propre visée spirituelle ou apostolique nous rend allergiques ou intolérants, nous cessons d'être des précurseurs de Jésus, et déjà nous n'annonçons plus que nous-mêmes.

Or il faut sans cesse nous redire © et c'est un deuxième élément dans la réponse du Baptiste : "Je suis envoyé devant Jésus". Envoyé devant, avec toute l'insécurité que cela suppose. Derrière nous, il n'y a plus de recours, plus de refuge, plus de repos, hormis Jésus qui nous envoie. C'est dire que Jésus n'a pas besoin de notre influence, mais de notre transparence. Comme c'est lui qui sait et lui qui réalise par la force de l'Esprit, il est tout à fait secondaire que nous ayons en mains, nous, des instruments efficaces et puissants. Ce qui lui importe surtout, c'est notre légèreté, car nous sommes envoyés, et envoyés devant lui.

 

Oui, Dieu ne jauge pas notre vie à la quantité des œuvres de nos mains ou de notre esprit, car ce qui lui permet de travailler avec puissance, c'est de trouver des cœurs libres, qui ne pèsent plus sur les choses et les êtres, des "cœurs brisés" qui ont rempli d'amour toute brisure, des cœurs sereins qui ont remis à Dieu toute impatience.

 

C'est pourquoi il faut laisser à Dieu le temps et le rythme, et laisser le Christ improviser sa musique sur la cithare de notre vie. Il faut le laisser prendre le relais quand il veut, dans notre vie personnelle et communautaire.

 

C'est à ce prix que ne deviendrons ses amis, non plus seulement des serviteurs, mais des amis en attitude de service, des "amis de l'époux", comme disait le Baptiste, des amis envoyés au-devant pour préparer la joie des noces, pour assurer la joie de l'époux et de l'épouse, la joie du Christ en son Église.

 

Notre joie à nous, celle que le Christ nous propose, à travers la personne du Baptiste, c'est la joie de ceux qui travaillent au bonheur des autres, jusqu'au moment où ce bonheur éclot, et qui s'en vont alors, sur la pointe des pieds, au-devant d'un autre service, au service d'une autre rencontre.

« Il les envoya proclamer

le règne de Dieu

et guérir les malades »

(Lc 9, 1-6)

 

« En ce temps-là, Jésus rassembla les Douze ; il leur donna pouvoir et autorité sur tous les démons, et de même pour faire des guérisons ; il les envoya proclamer le règne de Dieu et guérir les malades. Il leur dit : « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n’ayez pas chacun une tunique de rechange. Quand vous serez reçus dans une maison, restez-y ; c’est de là que vous repartirez. Et si les gens ne vous accueillent pas, sortez de la ville et secouez la poussière de vos pieds : ce sera un témoignage contre eux. » Ils partirent et ils allaient de village en village, annonçant la Bonne Nouvelle et faisant partout des guérisons. »

​

Jésus a tenu à ce que ses disciples fassent, de son vivant, leurs premières expériences missionnaires ; et l'Évangile rapporte qu'il a envoyé, dans un premier temps, les Douze, sa meilleure équipe, puis dans un second temps soixante-douze autres, deux par deux (Lc 10,1-2).

Aujourd'hui nous assistons au départ des Douze. Jésus leur confie deux tâches essentielles : proclamer le Règne de Dieu et guérir ; et les deux sont liées, car les guérisons opérées par les Apôtres, tout comme celles accomplies par le Christ, seront le signe que le Règne de Dieu est arrivé et que les forces du mal reculent dans le monde, avec leur cortège de mort et de souffrances.

Voilà donc les Douze cheminant de village en village et expérimentant la puissance de Jésus à travers leurs paroles et leurs gestes. Parce qu'ils travaillent pour Jésus, avec sa force et son autorité, ils n'ont à prévoir aucun arsenal, aucune provision, aucune sécurité onéreuse. Et Jésus leur a recommandé de rester le plus légers possible : "ni bâton, ni besace, ni pain ni argent ; surtout pas deux tuniques l'une sur l'autre", ce qui serait un signe de luxe et d'oisiveté. Cette légèreté des missionnaires sera à la fois un signe de pauvreté et un témoignage de confiance dans la fidélité du Seigneur qui les envoie.

Il s'agit manifestement d'une mission courte, à l'intérieur même du pays d'Israël. Plus tard les missions de Paul en Méditerranée nécessiteront des équipes plus étoffées et le soutien financier de la communauté d'Antioche ou des jeunes églises.

Dans l'immédiat, c'est surtout un style missionnaire que Jésus veut inculquer aux Apôtres. Pour cette première tentative, les Douze iront de maison en maison, modestement, patiemment, prenant le temps d'un contact prolongé, annonçant la bonne nouvelle, l'unique nouvelle que le monde attende pour sa joie, et guérissant partout les malades physiques ou mentaux qu'on leur présentera.

Mais bien que ce soit une mission préparatoire, une sorte de répétition de la mission universelle, Jésus engage pleinement son autorité dans le travail de ses amis. Non seulement il leur donne de son pouvoir sur les démons et les maladies pour libérer tous ceux qui accueilleront le message avec foi, mais il leur demande de prononcer le cas échéant des avertissements solennels :

Quant à ceux qui ne vous accueilleront pas, sortez de leur ville et secouez la poussière de vos pieds, en témoignage contre eux".

Il se peut en effet qu'en réponse à son offre de paix et de liberté le témoin de Jésus essuie un refus, refus de sa présence ou refus de sa parole. Il restera alors messager de paix et se laissera chasser de la ville, sans une plainte et sans rien emporter d'elle, ni amertume ni agressivité, pas même la poussière attachée à ses pieds.

Il s'en ira, libre, dans la paix de Dieu, mais sans rien brader des appels de Jésus.

Jésus reviendra sur cette consigne lors de l'envoi des soixante-douze : "Dans toute ville où vous serez entrés et où l'on ne vous accueillera pas, sortez sur la place publique et dites : 'Même la poussière de votre ville qui s'est collée à nos pieds, nous l'essuyons pour vous la laisser. Pourtant, sachez-le bien : le Règne de Dieu est tout proche !" (10,11)

Bonne nouvelle pour les uns, occasion de raidissement pour les autres : la parole des disciples sera signe de contradiction comme celle du Maître ; et aussi longtemps que l'Évangile sera prêché au nom de Jésus, chaque homme devra signifier librement s'il accepte ou repousse son offre de miséricorde, s'il veut ou non être guéri, s'il prend ou non le chemin de l'amour.

De la part de Dieu, en tout cas, l'offre est généreuse. Dieu veut sauver, Dieu veut guérir, Dieu n'a pour nous que des pensées de paix et une bonne nouvelle. Mais c'est à nous de saisir le bonheur quand Jésus nous l'apporte.

Arbre coloré donnant du fruit
Invite des estropiés
Tout est prêt pour la noce

« Ils ont donné du fruit »

(Mt 13, 1-9)

 

« Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer. Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : « Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » 

 

Les chemins que Dieu prend et ceux qu'il nous fait prendre nous paraissent souvent déroutants. C'est vrai au niveau des personnes, et cela se vérifie dans la vie des communautés. Au désert du Sinaï, ce fut le lot de tout un peuple.

Israël avait rapidement gagné le désert qui devait être un chemin vers la liberté. Or très vite il y trouva l'insécurité et l'incertitude. Son premier réflexe fut de se laisser entamer par la nostalgie : "Que ne sommes-nous morts au pays d'Egypte, quand nous étions assis auprès des marmites de viande et mangions du pain à satiété !"

Puis le peuple se retourna agressivement contre les hommes de Dieu : "À coup sûr vous nous avez amenés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude". Dans le projet de liberté, tous ces hommes déçus ne voyaient plus maintenant qu'un dessein de mort. Ils s’en prenaient à Moïse et Aaron, mais en fait c'est contre Dieu qu'ils murmuraient, comme si le Dieu de la vie pouvait chercher la mort.

Cette tentation de faire des reproches à Dieu, nous la connaissons bien : elle accompagne parfois nos tristesses, personnelles ou communautaires ; elle nous visite lorsque, pensant à notre existence religieuse, et au désert qu'elle nous fait traverser, nous nous laissons aller à la déception et à l'amertume, lorsque nous regimbons devant les imprévus, lorsque nous nous révoltons devant les faiblesses ou les impuissances communautaires, comme s'il fallait faire le deuil de notre projet de liberté.

Mais les murmures des hommes n'ont jamais découragé Dieu. Non seulement il les entend, mais il les interprète avec miséricorde ; il sait y lire notre espérance douloureuse, notre foi en quête de son vrai visage. Et pour toute réponse, il nous donne à manger, dans notre désert, personnel et communautaire. Mais c'est une nourriture paradoxale, faite pour le voyage, que l'on ne peut ni accumuler, ni mettre en réserve, que l'on retrouve chaque jour "rien que pour aujourd'hui". Une nourriture si inattendue qu'elle suscite chaque jour la même question : "Man hÅ«’ ?", à quoi répond chaque jour la même voix du Sauveur : "C'est le pain que le Seigneur vous a donné à manger. Ceci est mon Corps livré pour vous".

Si Dieu a fait sortir son peuple, s'il l'a mis en Exode, c'est pour qu'il ait la vie, la vie en abondance, et pour qu'il entre dans la terre de liberté.

Si Dieu remet chaque jour notre communauté en route vers le pays qu'il montrera, le pays de la gloire, si Dieu pourvoit chaque jour à notre nourriture, par son Pain vivant venu du ciel, c'est qu'il veut aller, pour la communauté et pour chacune, jusqu'au bout de sa promesse, mais par des chemins connus de lui seul.

Le point d'appui de notre espérance communautaire, et plus largement de notre optimisme chrétien, est finalement l'initiative d'amour que Dieu a prise à l'égard du monde en nous donnant son Fils : le Semeur est sorti pour semer, le Fils est sorti du Père pour semer dans le monde la parole qui appelle et qui sauve. Depuis l'origine du monde, le Verbe de Dieu semait sans sortir. Il semait en hâte la beauté, la vie dans tous les êtres, la lumière aussi, dans toute intelligence d'homme.

Mais à la plénitude des temps, lorsque Dieu a jugé que la terre était prête, le Fils de Dieu est sorti pour semer la parole définitive. Il est sorti de Dieu et retourné à Dieu (Jn 13,3), et quand bien même sa parole serait ici ou là dispersée, galvaudée, étouffée, partout où elle trouvera une terre souple, elle donnera du fruit, trente, soixante, cent pour un !

« N’invite pas tes amis ;

invite des pauvres, des estropiés »

(Lc 14, 12-14)

 

« En ce temps-là, Jésus disait au chef des pharisiens qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. » 

​

Il existe bien des manières d'inviter les autres à sa table.

"Dis-moi qui tu invites, et je te dirai qui tu es"...

La plupart du temps, celui qui invite s'attend à une certaine réciprocité, et même quand il pense avoir ouvert tout grand son cœur en même temps que sa table, même quand il ne songe pas à une invitation qui répondra à la sienne, il compte bien que l'ambiance du repas le paiera de sa peine ou des frais qu'il a engagés. C'est  pourquoi, sans doute, si souvent l'on s'invite entre gens de même condition. Pour qu'il n'y ait ni gêne ni fausse note, on invite des personnes qui ont déjà en commun soit des liens d'affection ou d'amitié, soit des souvenirs, des goûts ou des projets. Et l'on se dit instinctivement : "Plus le groupe sera homogène, plus nous aurons des chances de créer la joie."

C'est peut-être cela qui a gêné Jésus ce jour-là, lors du repas chez le pharisien. On l'avait invité, lui, comme un rabbi, comme un homme en vue, mais il ne retrouvait auprès de lui aucun des humbles qui le poursuivaient chaque jour pour l'écouter ou se faire guérir ; et, sous la forme paradoxale qu'il affectionnait, il a essayé une fois de plus de renverser les perspectives.

Pour lui, quand on invite, quand on ouvre un peu sa maison ou sa vie, il faut dépasser franchement le niveau du facile, de l'habituel, du convenu, bref: le niveau des relations gratifiantes et sécurisantes, et faire place à ceux qui ne sont jamais prévus, à ceux qui ne sont jamais là au bon moment, parce qu'ils sont ailleurs, cachés, avec leur souffrance et leur solitude.

Et Jésus d'énumérer sa clientèle de tous les jours : les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles. Pas seulement les pauvres d'argent, car on peut être riche et estropié, riche et aveugle, riche et boiteux. Pas seulement les sans ressources, mais tous ceux qu'un  handicap empêche de vivre comme les autres et de faire bonne figure dans un groupe, tous ceux qui traversent la vie cahin-caha, sans horizon et sans espérance, tous ceux qu'on ne trouve pas décoratifs à la table du bonheur, tous ceux dont la grande pauvreté est d'avoir besoin des autres pour vivre, tous ceux qui sont trop enfermés en eux-mêmes pour prendre jamais l'initiative d'une invitation.

Quand Dieu invite, lui, c'est gratuité pure ; il aime le premier, sans attendre d'être suivi ; il appelle et continue d'appeler même s'il n'entend pas de réponse.

À son banquet, nous voudrions retrouver, sans surprise, des têtes connues, uniquement des habitués, des privilégiés, des gâtés, comme nous tous ; mais chaque matin la tablée s'agrandit ; chaque matin une foule se presse, invitée elle aussi, et pour nous étrangère. Près du Seigneur, plus près que nous peut-être, nous  apercevons des convives inattendus, dont le nom n'était écrit nulle part, si ce n'est sur le cœur de Dieu, tous ces estropiés de la vie, que Jésus est venu chercher le long des haies et aux carrefours surpeuplés de notre monde, puis tous ces frères et ces sœurs, aveugles ou non, lointains ou proches, mais toujours oubliés, que Jésus nous confie parce que le Père les lui a donnés.

Et en voyant à l'œuvre la générosité du Père, il nous vient parfois de nouvelles idées pour nos invitations d'aujourd'hui.

« Invitez-les à la noce »

(Mt 22, 1-14)

 

« En ce temps-là, Jésus se mit de nouveau à parler aux grands prêtres et aux anciens du peuple, et il leur dit en paraboles : « Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : “Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.” Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : “Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.” Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives. Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce. Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.” Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. » 

 

Une fois de plus Jésus propose à ses auditeurs une parabole sur l'accueil et le refus.

Il en va du Royaume des cieux comme d'un roi qui fit pour son fils un festin de noces. Déjà l'Ancien Testament déjà aimait la comparaison des noces et du mariage pour exprimer les relations de Dieu avec la communauté de l'Alliance. Le Roi, ici, désigne Dieu, et son fils n'est autre que le Messie, Jésus, son Envoyé. La fête que Dieu a préparée, et de longue date, c'est la réconciliation de toute l'humanité par Jésus Messie et en Jésus Messie. Comme souvent, les détails de la parabole peuvent s'entendre à plusieurs niveaux. Ainsi les divers groupes de serviteurs, que le roi envoie successivement pour avertir les invités, peuvent renvoyer : soit aux prophètes de l'Ancien Testament, si souvent contestés par leurs contemporains ; soit aux apôtres et aux missionnaires chrétiens, envoyés eux aussi à Israël, et dont le message est repoussé, tantôt avec dédain, tantôt avec violence.

 

Une chose est claire, c'est que le roi ne laissera pas se perdre le festin qu'il a préparé. Ainsi ni le mépris ni la force ne feront échec au plan de Dieu. Si les premiers appelés (l'Israël dépositaire des promesses) font la sourde oreille, les apôtres iront sur les chemins du monde païen et aux carrefours de sortie des grandes villes, et le tout-venant des hommes de bonne volonté se précipitera vers le festin du salut.

 

Sévère pour les incrédules, pour les hommes du refus - quand le refus est coupable, bien entendu -, la parabole de Jésus apparaît extrêmement tonique pour ceux qui acceptent de lui faire confiance.

 

Elle souligne tout d'abord que l'appel de Dieu le Père est une invitation à la joie et à une joie partagée. Nul n'est invité seul. Certes, chacun doit donner librement sa réponse irremplaçable, mais il doit en même temps accepter le coude à coude du banquet.

 

Tonique, la parabole l'est encore parce qu'elle rappelle la gravité de l'enjeu et l'importance d'une réponse généreuse à l'invitation du Seigneur. À tout âge on peut être tenté de louvoyer devant l'appel... L'un s'en va à son champ, à son loisir, à son sport, l'autre à son commerce, à son métier, à ses études, toutes choses valables, certes, mais que nous faisons toujours passer après certaines invitations. L'invitation de Dieu serait-elle à ce point négligeable ? Et la refuser, n'est-ce pas passer à côté du vrai bonheur ? Nous-mêmes parfois semblons bien peu pressés de rejoindre le festin du Père, et pourtant face aux largesses de Dieu, que valent nos excuses ?

 

Heureusement, l'invitation de Dieu le Père embrassait l'espace et le temps ; elle reste valable tout au long de l'histoire humaine et tout au long de notre histoire personnelle. En un sens nous avons toute une vie pour répondre, mais non pas toute une vie pour faire attendre Dieu, car, dans la pensée de Jésus, chacune de nos journées pourrait être une réponse totale.

 

Enfin cette parabole est tonifiante parce qu'elle nous oblige à voir grand et à voir loin. Elle nous fait dépasser nos réflexes de privilégiés et les étroitesses de notre cœur pour nous ouvrir à la mission universelle de Jésus ; car l'onction de l'Esprit Saint fait de nous, à notre tour, des messagers de la joie de Dieu, des porteurs d'invitations pour ceux qui sont près comme pour ceux qui sont loin.

 

L'Église, c'est cela : le rassemblement des appelés, le peuple qui se sent responsable de transmettre l'invitation, et qui, à chaque Eucharistie, anticipe le festin éternel où chacun entrera après avoir ici-bas revêtu le Christ et ses réflexes. Dès maintenant, tous pauvres, tous graciés, venus de tous les carrefours du monde, nous entrons ensemble dans la joie du Christ et de l'Église-Épouse, une joie si dynamique et purifiante qu'elle peut triompher de toutes nos divergences et de toutes nos allergies. Quand on a dit oui à l'invitation de Dieu, on devient soi-même accueillant.

 

C'est une des manières de s'habiller pour la noce, et Dieu y veille. Car si sa miséricorde ouvre à tous la salle du banquet, nul n'est dispensé de faire effort pour changer sa vie. L'entrée est gratuite, mais il faut toujours changer de cœur en passant la porte.

Jésus appelle Matthieu le collecteur d'impôts
Ouvriers dans la vigne
Jésus prit un enfant et le plaça près à côté de lui

Je veux la miséricorde,

non le sacrifice »

(Mt 9, 9-13)

 

« En ce temps-là, Jésus vit, en passant, un homme, du nom de Matthieu, assis à son bureau de collecteur d’impôt. Il lui dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit. Comme Jésus était à table à la maison, voici que beaucoup de publicains (c’est-à-dire des collecteurs d’impôts) et beaucoup de pécheurs vinrent prendre place avec lui et ses disciples. Voyant cela, les pharisiens disaient à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » Jésus, qui avait entendu, déclara : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » 

 

"C'est l'amour que je veux, et non les holocaustes".

Jésus reprend là, à l'adresse des Pharisiens, une parole prononcée au nom de Dieu par le prophète Osée. À l'époque du prophète (VIIIème siècle) comme à celle de Jésus, offrir un sacrifice, c'était se procurer un animal et se rendre au Temple pour le faire présenter au Seigneur. Et la tentation était d'en rester à la prestation matérielle, sans faire du sacrifice un acte de conversion à Dieu, et à la volonté du Dieu de l'Alliance.

C'est à un dépassement du même ordre que Jésus nous invite. Il est bon de lui faire hommage des biens qu'il nous donne en gérance ; il est bon de lui sacrifier un peu de temps, de venir le prier dans son Temple, mais le moteur de tous ces efforts, ce doit être l'amour, et l'accueil de tous ceux que Dieu aime. Le mot de l'Évangile veut dire surtout "amour-miséricorde" ; celui qu'employait le prophète était encore plus large : "C'est le hésed que je veux", disait Dieu ; et le hesed recouvrait toutes les relations de l'homme à son prochain, c'est-à-dire à la fois la loyauté, la courtoisie, le fair-play, la bienveillance, l'amitié, l'amour, la miséricorde, l'amour miséricordieux. C'est cela avant tout que nous avons à offrir, ces réflexes quotidiens qui nous font ressembler à Dieu, cette générosité volontaire dont le cœur du Christ est pour nous le modèle.

Jésus appelle Matthieu le percepteur, qui collaborait avec l'occupant ; Jésus s'attable avec les publicains et les pécheurs. Son appel efface toutes les barrières, surtout celles du jugement des hommes. Son sacrifice à lui, celui que nous célébrons à chaque messe, a été la preuve suprême de son amour, pour Dieu et pour les hommes ; son sang a été versé pour la multitude.           

Ce qu'il veut nous donner, en venant à nous, c'est un cœur universel ; non pas un cœur qui rêve à l'universel, mais un cœur prêt, chaque jour, à toutes les indulgences, à toutes les patiences, à tous les pardons.

Ton regard est-il mauvais

parce que moi, je suis bon ? »

(Mt 20, 1-16)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.” Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?” Ils lui répondirent : “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.” Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !” Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?” C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. » 

 

Si nous nous étions trouvés dans la file des journaliers qui ce soir-là, attendaient leur salaire, nous aurions sûrement grogné – et moi tout le premier : "Regardez-moi ces resquilleurs ! Ils sont arrivés les derniers à la vigne, et ils sont payés les premiers !" Nous aurions probablement été blessés dans nos convictions égalitaires : "Ces derniers venus n'ont travaillé qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons porté le poids du jour et la chaleur !"

Remarquons cependant que le maître de la vigne n'entend pas le moins du monde donner une prime à la paresse. Relisons la parabole : "Vers la onzième heure (cinq heures de l'après-midi) il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient là, et leur dit : 'Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour sans travailler' ?" Le ton est sévère, mais le maître de la vigne se radoucit aussitôt quand il entend la réponse de ces hommes : "C'est que personne ne nous a embauchés"…"Nous sommes des chômeurs"…Tout est là ; et dès lors on comprend le réflexe du maître de la vigne. Il s'est dit : "Dans une heure, ces hommes-là vont retourner chez eux. Comment feront-ils pour nourrir femme et enfants ? Ils sont chômeurs, et ce n'est pas de leur faute. Puisque je peux compenser leur malheur, je vais le faire !"

Voilà pourquoi les ouvriers de la onzième heure reçoivent un denier comme tous les autres. Là où l'on serait tenté de voir une injustice, il n'y a donc qu'une charité courageuse, qui brave les critiques et l'incompréhension.

À vrai dire, la parabole souligne exprès l'apparente injustice. Il est évident que beaucoup d'employeurs, dans les mêmes circonstances, auraient agi avec le maximum de discrétion, et qu'ils auraient payé les ouvriers de la onzième heure après avoir réglé tous les autres.

Si Jésus, volontairement, glisse dans sa parabole une pointe d'exagération, c'est parce qu'il veut ébranler nos habitudes de tout peser, de tout compter, de tout ramener à une question de quantité. C'est comme si Jésus, une fois de plus, venait nous dire : "Dieu n'est pas comme cela ! Dieu ne réagit pas comme vous l'imaginez !" Dieu est celui qui donne sans calcul, simplement parce qu'il est l'Amour.

Comme ce réflexe du cœur de Dieu pourrait assainir notre vie de foyer, notre vie familiale ou notre attitude en communauté ! Même dans les meilleures fraternités, il reste entre les sœurs du non-dit, du non-exprimé. On pardonne beaucoup de choses aux autres sœurs, beaucoup de jugements hâtifs ou de paroles trop vives ; mais on leur pardonne plus difficilement de ne pas porter "toute leur part" du poids du jour et de la chaleur, de ne pas être sur la brèche autant que les autres sœurs. C'est le réflexe de Marthe, accaparée par les soins du service, et qui en ajoute sans se rendre compte : "Seigneur, cela ne te fait vraiment rien que ma sœur me laisse travailler toute seule ?"

Jésus nous répond, dans sa parabole : "Ne compare pas, sinon tu seras paralysée dans ton effort. Ne regarde pas ce que fait ta sœur, mais l'amour que tu veux me donner. Dis-toi que c'est une chance et une grâce, et une joie déjà totale, que de pouvoir servir jusqu'au bout de tes forces et au-delà. Si tu es triste en songeant au peu que fait ta sœur, c'est que tu ne me sers pas encore en pure gratuité."

Dieu, le Maître, notre Père, qui parle dans la parabole, nous ramène devant nos propres limites : "Sais-tu vraiment ce que ta sœur doit porter ? Connais-tu son histoire ? ses richesses ? son désarroi ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? parce que je veux lui assurer, à elle aussi, le denier de la vie éternelle ? Tu travailles pour moi, que veux-tu de plus ? Tant que tu en seras encore à compter, tu resteras frustrée, et souvent malheureuse. Du jour où tu ne compteras plus, tes mains seront toujours pleines, pleines de richesses à partager. »

Qui n’est pas contre vous

est pour vous »

(Lc 9, 46-50)

 

« En ce temps-là, une discussion survint entre les disciples pour savoir qui, parmi eux, était le plus grand. Mais Jésus, sachant quelle discussion occupait leur cœur, prit un enfant, le plaça à côté de lui et leur dit : « Celui qui accueille en mon nom cet enfant, il m’accueille, moi. Et celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé. En effet, le plus petit d’entre vous tous, c’est celui-là qui est grand. » Jean, l’un des Douze, dit à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il ne marche pas à ta suite avec nous. » Jésus lui répondit : « Ne l’en empêchez pas : qui n’est pas contre vous est pour vous. » 

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De ces deux consignes jumelées dans l'Évangile de Luc, et qui toutes deux ont trait à la vie de la communauté, l'une vise la volonté de puissance, l'autre l'étroitesse de cœur, qui peut fausser même le service de Dieu.

La première commence par un acte symbolique, ce qui est tout à fait dans la manière des prophètes.

Les disciples se demandent qui d'entre eux est le plus grand, et Jésus répond à "la question de leur cœur" en plaçant un petit enfant près de lui.

En nous proposant l'enfant comme modèle, Jésus nous prend à contre-pied de nos réflexes habituels :

Nous aimons maîtriser la situation : l'enfant, lui, se laisse faire.
Nous défendons férocement notre autonomie : l'enfant accepte la dépendance.
Nous nous défions des autres : l'enfant trouve normal d'être aimé.

C'est ainsi qu'il nous faut accueillir le Royaume des Cieux - c'est-à-dire le règne de Dieu - sur notre intelligence, sur notre affectivité, sur tous les secteurs où notre liberté se cherche et s'exprime.

Il faut laisser à Dieu l'initiative et lui répondre sans crainte et sans complications, car Dieu est simple et veut pour nous la paix.

Pour l'enfant, ce qui l'amène à faire effort c'est la certitude d'être aimé.

Et c'est bien aussi, pour nous, adultes, le point de départ de tout renouveau intérieur :

la certitude que nous existons pour quelqu'un, que nous ne sommes pas seuls à nous débattre dans nos difficultés, mais que Dieu est là, dans notre vie, avec un projet paternel.

Dieu est là, toujours déjà là, faisant de nous ses fils et ses filles par la force de son Esprit, et nous ouvrant Sa vie, Sa joie, Sa paix.

Et c'est cela le Royaume commencé.

Dieu nous veut adultes, à la taille du Christ en sa plénitude, et c'est en adultes que nous le servons, que nous le prions. Il faut chaque jour nous laisser aimer, sans hésitations, sans questions inutiles, et c'est cela, devenir comme un enfant.

Les saints qui l'ont compris ont accédé à une nouvelle qualité de la vie ; ils ont trouvé le vrai port du salut.

La deuxième consigne de Jésus veut répondre également à un faux problème, ou du moins à un problème mal posé. Elle veut aussi couper court à une tentation de l'apôtre Jean, tentation qui guette toujours ceux et celles qui se veulent fidèles à l'Évangile, et qui consiste à annexer pour soi-même ou pour un groupe la présence du Christ, son amitié, ou la puissance de son Esprit.

"Maître, nous avons vu quelqu'un expulser les démons en ton nom, et nous avons voulu l'en empêcher, parce qu'il ne te suit pas avec nous !". Jean perd de vue le bien réel qui se fait : les démons effectivement sont expulsés. Il perd de vue la loyauté de ces exorcistes, qui entendent travailler au nom de Jésus. Jean retient uniquement un point qui l'agace : "ces gens-là ne sont pas avec nous", ils ne sont pas de notre groupe !

C'est la tentation des nantis spirituels, qui ont besoin, pour vivre et servir, de se sentir privilégiés. Ce fut la tentation de certains membres du peuple choisi, l'aîné de tous dans la foi, au moment où il fallut admettre que les Gentils, sans la Loi, avaient reçu, eux aussi, l'Esprit Saint.

C'est un danger qui nous menace, à notre tour, que d'exclure un peu trop vite ceux ou celles qui apportent à l'harmonie communautaire une note de personnalité irréductible, qui ont besoin d'un plus long temps pour comprendre toutes les exigences du contrat fraternel lié à leurs vœux, qui servent le Seigneur d'une manière inhabituelle ou paradoxale, ou simplement n'entrent pas dans notre vue personnelle des choses.

Au moment où nous apportons ensemble notre offrande à l'autel, laissons le Christ agrandir notre cœur, pour accueillir ces frères et ces sœurs qui ne sont pas contre nous, même s'ils marchent à leur pas, et qui sont pour nous, puisqu'ils cherchent le même Seigneur.

Laissons-nous habiter, laissons-nous blesser jusqu'à l'intime de nous-mêmes par la générosité de Dieu.

Son cœur est si large que pour lui il n'y a jamais de marginaux.     

La Bible Parole de Dieu
Marie a choisi la meilleure part

« Ma mère et mes frères sont

ceux qui mettent en pratique

la parole de Dieu » 

(Lc 8, 19-21)

 

« En ce temps-là, la mère et les frères de Jésus vinrent le trouver, mais ils ne pouvaient pas arriver jusqu’à lui à cause de la foule. On le lui fit savoir : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui veulent te voir. » Il leur répondit : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique. » 

 

Les débuts du ministère public de Jésus ont suscité dans sa famille une certaine inquiétude.

Depuis le jour où Jésus avait rangé ses outils pour inaugurer sa vie de prophète itinérant dans toute la Galilée, les gens de sa parenté suivaient avec attention les événements, se demandant ce que signifiait un changement si brusque et sur quoi tout cela allait déboucher.

Il n'y a donc rien d'étonnant à voir les cousins de Jésus venir aux nouvelles. Mais pourquoi Marie, mère de Jésus, s'est-elle jointe à eux ?

Tout simplement parce que Jésus la laissait vivre dans la foi et l'espérance. Elle savait bien que Jésus était totalement voué aux affaires de son Père et que l'œuvre du Messie dépassait les frontières de Nazareth. Mais une mère est une mère : elle aussi voulait le voir, l'entendre parler du Père avec des mots tout simples. Et puis, à Nazareth elle veillait à tout ; maintenant qu'elle n'était plus là auprès de lui, ne manquait-il de rien ?

Marie est donc venue, elle aussi, pour voir Jésus. Mais impossible de l'atteindre, tellement la foule est dense autour de lui. On fait donc passer la nouvelle de rang en rang jusqu'à Jésus : "Ta mère et tes frères sont là dehors ; ils veulent te voir".

Étranges limites imposées à l'amour d'une mère : la foule lui a pris son fils, la foule la sépare de son fils.

Nous connaissons, nous aussi, cette souffrance de la séparation ; mais ce n'est plus la foule compacte qui nous interdit d'approcher de Jésus, c'est son retour au Père dans la gloire qui a mis entre nous et lui une distance que seule la foi peut franchir. Nous voudrions voir Jésus, et le Ressuscité nous répond en quelque sorte : "Pour l'instant il vous suffit de m'entendre". La vision est pour plus tard ; elle est réservée pour le moment de l'heureuse rencontre. Mais dès aujourd'hui nous avons la parole du Maître, et l'Esprit Paraclet nous est donné pour nous faire réentendre cette parole, pour nous en faire ressouvenir et pour nous y faire entrer avec toute la force de notre espérance.

Il n'a donc pas de différence entre la vie théologale de Marie et la nôtre : elle aussi a dû rejoindre son Fils par la foi et la confiance ; elle aussi, même avant la Résurrection, a dû accepter de longues séparations et vivre de la parole de Jésus sans plus voir son visage. Et la réponse de Jésus souligne bien cette nécessité d'une foi vivante : "Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique". Ce qui revient à dire : "Tous ceux qui écoutent ma parole et en vivent font partie de ma famille".

Jésus a toujours refusé de privilégier sa famille selon la chair, car il venait pour le salut du monde entier.

À première vue la réponse de Jésus semble sévère pour ses cousins et surtout pour Marie. En réalité, quand il évoque l'attitude des vrais croyants, Jésus pense à sa propre mère, comme nous le lirons bientôt dans ce même Évangile de Luc : "Un jour que Jésus prêchait, une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : Heureuse celle qui t'a porté et allaité !" ; en d'autres termes : "Comme elle a de la chance d'avoir un fils tel que toi !" Et Jésus de répondre : "Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent !" (Lc 11,28).

Bien sûr, Marie a de la chance ; bien sûr, c'est pour elle un privilège inouï que d'être la Mère de Dieu ; mais Jésus veut souligner son mérite, le mérite de sa foi.

Heureuse Marie, "qui a cru en l'accomplissement des paroles de Dieu" (1,45).

Heureuse Marie, "qui retenait tous les événements de la vie de Jésus et les méditait dans son cœur " (2,19).

Par son privilège de Mère du Messie, Marie échappe à la condition commune. Par sa foi et son espérance, au contraire, Marie est non seulement admirable, mais imitable.

C'est bien là aussi que Jésus la situe. Par un nouveau paradoxe, par une nouvelle délicatesse de son amour filial, au moment même où Marie attend dehors, hors du cercle de ses auditeurs, Jésus fait d'elle un éloge qui traversera tous les siècles : "Voici ma Mère, le modèle de votre foi".

« Marie a choisi la meilleure part »

(Lc 10, 38-42)

 

« En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » 

 

Les vacances sont le temps de l'hospitalité: on vit chez les autres, ou bien l'on accueille les autres chez soi. Et dans la liturgie de ce dimanche, c'est un peu comme si le Seigneur disait : "Et moi ? Est-ce que je peux m'inviter ? Et si Je m'invite, comment serai-je accueilli ?"

Dans l'Évangile, ce sont deux femmes, Marthe et Marie, qui invitent Jésus. Deux sœurs qui ont tout en commun, et qui, à force de vivre ensemble, en viennent à se trouver réciproquement insupportables. Heureusement leur frère Lazare était là, au moins de temps en temps, pour rendre l'atmosphère un peu moins électrique.

Mais ce jour-là, elles ont un invité : Marthe a convié Jésus à prendre chez elle son repas. Vous connaissez les faits : Marthe part immédiatement dans ses casseroles, tandis que Marie, assise aux pieds du Seigneur, écoute sa parole.

Un moment, Marthe n'y tient plus : "Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse ainsi servir toute seule ? Dis-lui donc de m'aider !" Mais Jésus ne dit rien à Marie, et c'est à Marthe qu'il s'adresse pour lui faire, amicalement, deux reproches : "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et t'agites pour beaucoup de choses !". C'est le premier reproche : Marthe perd la paix, tout en voulant loyalement servir son Seigneur. Jésus connaît et approuve son dévouement, mais il la voudrait libre de cœur dans son service.

Le second reproche pourrait se traduire ainsi : "Tu n'as pas compris comment je souhaite être invité. Si tu veux faire ma joie, commence par m'écouter ; si tu m'invites, laisse-moi te nourrir d'abord du pain de ma parole."

Jésus aurait pu ajouter un troisième reproche : "Marthe, tu es jalouse ! Tu es dévouée comme pas une, mais tu es jalouse !". Cependant il préfère souligner que c'est Marie qui, des deux, a trouvé l'attitude juste : "Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas ôtée". Elle a choisi d'écouter, de se laisser instruire et transformer: c'est la seule chose nécessaire, pour tout croyant.

On dénature parfois les paroles de Jésus dans cet épisode, et l'on perpétue la brouille des deux sœurs, par des considérations aventureuses sur Marthe et Marie. On dira, par exemple : "Marthe, c'est la vie active, le témoignage en plein monde ; Marie, c'est la vie contemplative, le retrait du monde pour une existence de prière et d'intercession. Ou bien l'on dira : "Il y a des Marie, il y a des Marthe. Que voulez-vous: moi qui suis une Marthe, qui ne suis qu'une Marthe, ce que j'ai dans le cœur passe par mes mains ; ne me demandez pas de m'arrêter pour la prière !"

Mais nous sommes là bien loin de la pensée de Jésus. Certes, les vocations sont différentes au sein de l'Église, et le dosage des temps d'action et des temps de prière est différent dans la vie d'une carmélite et dans le quotidien d'une mère de famille ou d'une assistante sociale. Mais il n'y a pas d'un côté des Marthe, et de l'autre des Marie, d'un côté celles qui sont debout et actives, et de l'autre celles qui sont assises au pied du Seigneur. Car tout baptisé est à la fois Marthe et Marie ; tous et toutes, comme Lazare nous ressemblons à la fois à nos deux sœurs. Pour chacun de nous la meilleure part est l'écoute de Jésus et la réponse de foi et d'amour que nous lui donnons à la prière ; et chacun de nous doit faire place en priorité à cette écoute priante, même au moment des vacances où le temps du soleil empiète si facilement sur le temps du Seigneur. Chacun de nous puise la force de servir, de comprendre et de pardonner, dans le cœur à cœur avec Jésus, et c'est l'amour reçu de Jésus qui permet d'aimer tous ceux que Jésus aime. Comme disait sainte Thérèse d'Avila, commentant dans sa cinquième Exclamation cet épisode de Marthe et Marie : "Seul l'amour donne du prix à toutes choses, et l'unique nécessaire est d'aimer au point que rien n'empêche d'aimer".

Colombes de la paix

« Moi, je vous dis de ne pas

riposter au méchant »

(Mt 5, 38-42)

 

« En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! » 

​

Derrière ces pages de catéchèse, très stylisées, de saint Matthieu, nous retrouvons sans difficulté non seulement toute la pédagogie des premiers prédicateurs chrétiens, mais toute la force et toute l'exigence du message moral de Jésus.

"Œil pour œil, dent pour dent", cette vieille loi du talion avait fait ses preuves dans les civilisations anciennes du Proche-Orient. Tantôt elle apparaissait comme une mesure de rigueur, destinée à faire réfléchir les criminels, tantôt elle jouait en fait comme une mesure d'ordre et de modération, qui protégeait les délinquants contre des vengeances aveugles. De toute façon, pour Jésus, tout cela est radicalement dépassé par la loi nouvelle qu'il promulgue de sa propre autorité de Fils de Dieu : "Je vous dis de ne pas tenir tête, de ne pas riposter aux méchants".

Et Jésus ajoute quatre exemples, en passant du "vous" au "tu", pour les personnaliser davantage.

"À celui qui te frappe sur la joue droite, tends l'autre joue".

Ce n'est pas un exemple irréel, car dès que l'on entreprend quelque chose pour le Seigneur, il faut s'attendre à recevoir des coups, parfois de tous les côtés. Ce n'est pas non plus un exemple irréalisable, et on le déformerait, en y voyant une simple boutade du Seigneur. Car Jésus, réellement, nous attend là. Mais c'est une attitude qui doit jaillir du plus profond de la liberté et qu'on ne saurait imposer à aucun ; et c'est pourquoi le Seigneur, calmement, déclarait à ceux qui venaient l'arrêter à Gethsémani : "Si c'est moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir".

Vient ensuite l'exemple de la tunique et du manteau. À la surenchère de la haine, il faut répondre par la surenchère de l'amour.

La réquisition pour un mille (c'est-à-dire pour 1.500 m) fait sans doute allusion à des corvées. Les soldats ou les fonctionnaires pouvaient forcer un passant à porter un fardeau ou à les accompagner un instant à titre de guide ou d'otage. Ainsi, selon Jésus, à tous ceux qui abusent de nos services, qui font de nous leurs esclaves (...ou leurs boniches !), il faut répondre par une surenchère de la disponibilité. Souvent d'ailleurs, le seul pas qui coûte vraiment, c'est le pas 1001.

Et enfin Jésus dit : "Donne à qui te demande". Dans ce contexte, il semble bien qu’il s'agisse d'une demande agressive ou injuste. Là encore le Seigneur nous suggère de répondre par un geste d'apaisement ou de patience.

Telles sont les consignes de Jésus, à la fois paradoxales et terriblement réalistes. Au bout du compte, tous les comptes sont faussés, car Dieu est celui qui ne veut pas compter. À une morale de la juste proportion, Jésus substitue la morale de la douceur volontaire. Aux pressions de la méchanceté Jésus oppose seulement le dynamisme mystérieux de la non-violence. Il n'approuve pas le mal, mais il refuse de répondre au même niveau que le mal.

Évidemment, suivre Jésus jusque-là, c'est-à-dire adieu à toutes nos sécurités, ces pauvres sécurités que nous appuyons sur des arguments de justice, sur des droits réels à faire valoir, sur des compétences que nous voulons défendre, sur des rôles qui nous flattent et que nous voulons garder. Ce risque évangélique réclame une force que seul le Christ peut nous donner, la force de l'espérance, toujours paradoxale ; un tel renoncement à l'agressivité, véritable folie aux yeux du monde, ne peut être vécu que par amour, par un amour un peu fou lui aussi, voué à Celui qui est source de tout amour.

La disproportion grandira forcément dans notre vie évangélique, entre nos droits et nos devoirs, entre ce que nous recevons et ce qu'il faudra donner, disproportion douloureuse, révoltante même à certains jours, disproportion qui ne sera corrigée que par le cœur de Dieu selon les critères d'une sagesse inaccessible, et qui sont, eux aussi, des critères d'amour.

La manne de Dieu
Chacun doit pardonner du fond du cœur
Je t'en confierai beaucoup

« C’est mon Père qui vous donne

le vrai pain venu du ciel » (Jn 6, 30-35)

 

« En ce temps-là, la foule dit à Jésus : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » 

 

 "Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ?", pour réaliser les œuvres que Dieu attend de nous ? Les questionneurs s'attendaient peut-être à un catalogue, à une liste bien précise, à quelques exigences facilement repérables : la prière, l'hospitalité, les sacrifices au Temple, ou l'aumône aux déshérités. Mais la réponse de Jésus les déconcerte. D'abord Jésus ramène tout à l'unité : non pas des œuvres, mais une seule œuvre ; et de plus cette œuvre unique consiste à croire ; croire en Dieu, bien sûr, croire en la fidélité du Dieu de l'Alliance, mais surtout croire en lui, Jésus, comme en l'Envoyé du Père, que le Père a marqué de son sceau, signant d'avance tout ce qu'il dira et fera chez les hommes.

Une seule œuvre, dit Jésus. Et pourtant il a laissé lui-même bien des consignes à ses disciples: douceur, humilité, pardon mutuel, amour de la paix, miséricorde ... Mais finalement tout se résume en un seul mot, en une seule démarche: croire en Jésus, qui est à lui seul le chemin et la vérité ; venir à lui pour avoir la vie.

De fait, dans le concret de notre existence, croire en Jésus transforme tout, emporte tout, illumine tout.

Croire en Jésus, Fils de Dieu, cela décide de notre avenir.

D'où que nous venions, et quelle que soit notre histoire spirituelle, plus paisible ou plus orageuse, dès lors que nous avons "appris le Christ", comme le disait saint Paul (E 4,20), il est des routes que nous ne prendrons plus, et surtout des chemins que nous choisirons parce que Jésus les a choisis avant nous. Nous n'aurons plus envie d'arrêter à mi-pente, et nous saisirons la chance de notre vie.

Tout en faisant sans tricher notre œuvre d'hommes, tout en vivant à fond notre destin de femmes, tout en semant la bonté et la joie, "nous nous hâterons comme des voyageurs en ce monde" (1 P 2,11), appuyés sur le Ressuscité qui chaque jour nous prépare à la gloire.

Croire en Jésus, cela ressaisit et restaure même notre passé.

Dans notre vie d'adultes chrétiens, parce que nous venons à Jésus comme à Celui qui recrée et qui sauve, nous pouvons nous retourner vers notre passé, qu'il soit source de joie, de remords ou d'angoisse;  nous pouvons le regarder dans sa lumière, la lumière du salut ; et nous pouvons dire au Christ de notre appel : "Oui, Seigneur, j'ai été cela, je suis cela ; j'en suis là et je n'en suis que là ; mais puisque je viens à toi, je sais que la route m'est ouverte".

Le passé pécheur, nous pouvons le lâcher, comme on jette un vieux pull. "Il faut, disait saint Paul, nous dévêtir du vieil homme qui va se corrompant au fil des convoitises (toujours) décevantes" (E 4,22).

Le passé de souffrance ou de misère, nous pouvons le reprendre, le repétrir, le ré-assumer dans un nouveau projet de vie et de fidélité au Christ.

Croire en Jésus, cela transfigure le quotidien, le réel de notre vie, de notre amour, de notre service.

Le Christ Sauveur nous aime en habits de tous les jours, et pour lui répondre dans la foi il n'est pas nécessaire de vivre "autre chose" : il suffit de vivre les mêmes choses autrement.

Ainsi, dans la démarche de la foi au Christ, dans l'amitié avec Jésus l'Envoyé, c'est toute la personne qui est reprise, tout son temps, toutes ses forces, tous ses désirs.

Une seul œuvre suffit, celle qui dit à Dieu toute notre réponse.

Et pour nourrir cette foi mise en œuvre, un seul pain est offert aux hommes, "le pain de Dieu, qui descend du ciel et qui donne la vie au monde" (Jn 6,33).

C'est Jésus, pain de la foi et pain de vie, qui vient à nous à chaque  messe, d'abord à cette table de la parole, puis à la table de l'Eucharistie. C'est sa force et son amitié que nous demandons fidèlement, au-delà de la nourriture qui périt: "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour".

"Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là!"

« Chacun de vous doit

pardonner à son frère

du fond du cœur »

(Mt 18, 21-35)

 

« En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois. Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette. Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !” Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.” Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait. C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. Lorsque Jésus eut terminé ce discours, il s’éloigna de la Galilée et se rendit dans le territoire de la Judée, au-delà du Jourdain. » 

 

 "Combien de fois devrai-je pardonner ?" Du temps de Jésus les rabbins répondaient : "Une fois, deux fois, trois fois, oui ; mais pas la quatrième". Pierre, généreux, est prêt à aller jusqu'à sept fois ; mais Jésus, pour couper court à tout calcul, invente pour ses disciples la parabole du serviteur gracié et impitoyable.

Tous les traits sont volontairement forcés : D'abord les deux sommes apparaissent disproportionnées ; dix-mille talents, près de quatre cent millions de francs-or, c'est une somme énorme, comme seuls pouvaient en manier des gouverneurs de royaumes ou de provinces ; c'est la dette impossible à payer. En face, une somme modique : cent deniers, l'équivalent de deux ou trois mois de salaire pour un journalier agricole.

Surprenante est aussi la bonté du roi : son financier ne demandait qu'un moratoire, le temps de combler le trou par une bonne gestion ; le roi, d'un coup, lui remet toute sa dette. En contraste avec cette magnanimité du roi, la dureté du serviteur n'est que plus révoltante et sordide : en sortant du palais, il prend à la gorge son compagnon.

Jésus prend bien soin de situer cette scène dans un pays étranger. En effet, le droit d'Israël ignorait la prison pour dette, la torture du débiteur, et encore plus la vente de la femme et des enfants pour éteindre la dette. Aucune allusion politique précise ne vient donc détourner l'attention des disciples, et chacun reçoit de plein fouet la question du roi dans la parabole : "Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j'avais eu pitié de toi ?"

Et nous entendons aujourd'hui le Christ Sauveur dire à chacun de nous : "Toi qui si souvent as été pardonné, que fais-tu du pardon dans ta vie quotidienne ?"

Toute notre vie se déroule sous le regard et le pardon de Dieu. Notre baptême déjà nous a plongés dans sa miséricorde. Puis Dieu notre Père a pardonné les fredaines de notre enfance, les faux-pas et les impatiences de notre jeunesse. Il pardonne encore, sans se lasser, les chutes plus lourdes de l'adulte, quand les tentations ou les leurres du midi de la vie viennent ravager les cœurs, les foyers, les familles et les communautés, laissant le croyant ou la croyante désemparés devant le gâchis de leur existence. Il pardonne, enfin, au soir de la vie, tous les réflexes de repli ou d'amertume, tous les manques de confiance, toutes les compromissions avec la tristesse.

En réponse à cette miséricorde, qui nous ouvre chaque jour au meilleur de nous-mêmes, Jésus attend de nous, non pas un pardon, ni quatre ni sept, mais quatre-cent quatre-vingt-dix pardons, autrement dit le pardon au quotidien, le pardon sans calcul ni limite.

Et nous, très souvent, de nous révolter : "Seigneur, il ne mérite pas mon pardon !" C'est vrai ; mais nous-mêmes, avons-nous jamais mérité la bonté de Dieu ? Souvent l'envie nous prend de saisir l'autre au collet : "Rends-moi ce que tu me dois ! Rends-moi ce que j'ai fait pour toi ! Rends-moi cette vie que je t'ai donnée, cette fidélité que je t'ai gardée !"

Mais Jésus nous demande de desserrer les mains, d'ouvrir de nouveau notre cœur, de laisser tomber toute aigreur et toute colère. Jésus nous appelle à nous retourner humblement vers Dieu qui nous supporte, vers Dieu qui nous laisse vivre, vers Dieu qui nous fait vivre parce qu'il nous aime : "Sois patient envers moi, Seigneur, et je te rembourserai tout".

 

En fait nous ne rembourserons rien du tout.

Car on ne rembourse pas Dieu, et il n'a que faire de nos comptes. nous, qu'un peu d'amour et un grand merci.

« Tu as été fidèle

pour peu de choses,

je t’en confierai beaucoup »

(Mt 25, 14-30)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Un homme qui partait en voyage appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes. Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.” Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. Car à celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !” » 

 

L'initiative, là encore, vient du maître. Il ne passe pas un contrat avec ses serviteurs, mais leur laisse une mission. Mission personnalisée, d'ailleurs : « à chacun selon ses capacités ». Le maître connaît ses em­ployés et demande à chacun une efficacité à sa mesure ; après quoi il s'absente : les serviteurs seront donc vrai­ment et pleinement responsables.

Le talent valait environ 6.000 francs or. Les serviteurs, même le moins bien loti, se retrouvent donc à la tête de sommes importantes. La parabole ne dit pas comment les deux premiers ont fait fructifier leur dépôt, mais insiste sur leur empressement. Que représentent les talents ? Probablement ce que chaque homme trouve en lui-même pour servir Dieu dans ses frères.

La récompense consistera à servir davantage encore, à entrer encore plus activement dans l'œuvre de Dieu, et à trouver dans ce service une joie qui anticipe la joie définitive.

La passivité du troisième serviteur a une racine profonde : la peur. La mission reçue lui apparaît non pas comme une invitation à la créativité, mais comme une contrainte, comme un fardeau imposé. Les affai­res du maître ne l'intéressent pas ; elles ne seront qu'une parenthèse dans son activité. Il préfère la sécurité à l'ini­tiative, parce qu'il n'aime pas le maître qu'il sert. Le dépôt ? il le rendra tel quel. Il s'en tient à l'obligation stricte, et, par peur de risquer, il se ferme à la joie de servir.

Lors du retour du Seigneur, celui qui « n'aura pas », c'est-à-dire : qui n'aura pas œuvré pour le Royaume selon ses forces et dans le cadre de sa mission personnelle, n'entrera pas dans la joie du Maître.

Quels que soient ses dons et ses moyens d'action, le croyant n'est jamais que le gérant des intérêts de Dieu, « intendant des mystères de Dieu », c'est-à-dire de son plan de salut (1 Cor 4, 1).

La peur de Dieu peut être une épreuve passagère, une sorte de calvaire de l'espérance ; parfois elle s'installe comme une maladie spirituelle, qui embrume toute la vie du croyant sans lui ôter sa volonté de servir. Mais quand la peur de Dieu sert d'alibi à la paresse, c'est alors qu'elle stérilise l'existence.

Le bon moyen de garder les richesses du Royaume est de ne pas les garder pour soi. On ne les acquiert vrai­ment qu'en les risquant sans cesse pour les faire fructifier.

L'Eucharistie n'est-elle pas, pour nous, l'entrée dans la joie du Maître, le moment où, en Eglise, nous appor­tons au Père tous les fruits de notre activité à son service ?

Que votre parole soit oui
Pharisien et publicain
Le fils de Dieu va venir avec ses anges dans la gloire

« Que votre parole soit ‘oui’,

si c’est ‘oui’ »

(Mt 5, 17-37)

 

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux. Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou. Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier qui s’en aille dans la géhenne. Il a été dit également : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère. Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne manqueras pas à tes serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi. Et ne jure pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’, ‘non’, si c’est ‘non’. Ce qui est en plus vient du Mauvais. »

 

Là où l'ancienne loi parlait de meurtre, Jésus parle de colère. Là où les Anciens ne retenaient que l'interdiction de tuer, Jésus atteint d'un coup la racine du mal ; il nous dit, en quelque sorte : "tu maîtriseras ton agressivité". Et c'est tout un programme de conversion personnelle et de vie fraternelle que Jésus esquisse devant nous lorsqu'il nous laisse pour consigne :

"Quand tu vas présenter ton offrande à l'autel, si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère".

Tuer quelqu'un, cela ne nous arrive pas, sinon dans des cauchemars. Mais à côté du meurtre proprement dit, il y a bien des manières d'empêcher l'autre de vivre, de se mettre en travers de son bonheur ou de sa liberté, bien des manières de l'ignorer ou de le rayer des vivants qui nous intéressent.

Oui, l'agressivité est tapie quelque part à l'intime de nous-mêmes, et à certaines heures montent en nous des mouvements, des réflexes, des pulsions de haine qui ne sont pas des meurtres, certes, mais qui ont partie liée avec l'homicide, parce qu'ils tendent à éliminer l'autre de notre champ d'action, de notre affection ou de notre souvenir.

Et Jésus vise surtout les moments où cette agressivité comprimée en nous explose en colère, en mépris, en paroles d'intolérance et de rejet.

Parfois les personnes qui focalisent le plus nos ressentiments sont celles qui traversent le plus notre vie quotidienne: un compagnon ou une collègue de travail, qui réveille en nous de vieilles rivalités, le conjoint, dont on oublie la valeur pour ne plus voir que les misères, un frère ou une sœur qui a déçu dans la vie communautaire, un enfant qui semble renier ce qu'on a fait pour lui, mais aussi des parents, qui n'ont pu donner que ce qu'ils avaient reçu, ou encore des responsables qui ont mal mesuré leurs décisions.

Quand nous arrivons devant l'autel avec notre offrande, avec notre faim de Dieu, tout ce négatif qui fermente en nous nous pèse encore plus qu'à tout autre moment, parce que, dans la logique de l'Evangile, notre relation au frère authentifie notre relation à Dieu, et notre désir de nous approcher de Dieu implique la volonté de nous rendre proches du frère ou de la sœur.

Mais là plus que jamais un discernement s'impose, car, s'agissant de l'agressivité, des sentiments agressifs, il importe de ne pas tout culpabiliser, et de ne pas non plus innocenter en nous des réactions dont nous sommes responsables devant Dieu.

L'Esprit Saint, si nous l'invoquons, nous aide à dissocier en nous ce qui est misère de ce qui est péché. La misère, c'est tout ce paquet insaisissable de sentiments négatifs qui nous habitent malgré nous, qui se réveillent malgré nos efforts : c'est l'agressivité qui nous agresse, et de celle-là nous pouvons faire une offrande, et l'apporter à l'autel, sur l'autel, pour que le Christ l'emporte dans sa victoire. Le péché, lui, se situe à un tout autre niveau : c'est de s'enfermer volontairement dans un sentiment agressif. Le péché, c'est de classer une fois pour toutes un homme ou une femme, de désespérer d'un enfant, de verrouiller son cœur quand l'autre cherche la paix.

Nous péchons aussi par agressivité lorsque nous refusons d'assainir le passé en le reprenant dans la miséricorde du Christ, ou lorsque nous regardons uniquement ce qu'on nous a fait ou pas fait, ce qu'on nous doit et qui n'est pas reconnu. Car nous avons toujours notre part de responsabilité, d'égoïsme, d'agressivité; nous avons toujours notre dette, et il se peut qu'effectivement notre frère ou notre sœur ait "quelque chose contre nous", comme dit Jésus, un reproche mérité qu'il nous fait, ou qu'il pourrait nous faire.

C'est là qu'une démarche de réconciliation devient urgente, et Jésus nous en donne la force, spécialement dans cette Eucharistie qui est le sacrement de l'unité, de l'amour retrouvé.

 

« Qui s’élève sera abaissé ;

qui s’abaisse sera élevé »

(Lc 18, 9-14)

 

« En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.” Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !” Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » 

 

Deux hommes prient le même Seigneur, dans le même temple. Et pourtant quelle différence dans la connaissance du vrai Dieu, quelle différence d'authenticité dans la prière !

Pour le pharisien, la prière n'a qu'un pôle : le moi satisfait et sécurisé. Cet homme est, à ses yeux, le seul intact, le seul digne, l'artisan de sa propre perfection.

"Les autres" se laissent compromettre avec l'argent ; "les autres" connaissent des aventures avec la femme d'autrui ; "les autres" trempent dans des affaires injustes. D'autres encore, comme ce publicain, sont entrés dans le système fiscal de l'occupant, et leur métier leur salit les mains. Tandis que lui, le "séparé", l'homme à part, est demeuré inentamé, inattaquable.

Mais il confond la paix du cœur et l'autojustification. Pour lui la sainteté consiste à coïncider avec une image gratifiante de lui-même, à remplir les cases qu'il a lui-même tracées.

Il est le seul digne de l'amour de Dieu, ou du moins il a besoin d'être le seul à capter son estime. Il lui faut éliminer les autres pour se sentir aimé du Seigneur ; et dès lors l'autre n'est plus le frère, mais le coupable. Il n'a jamais su "être-avec" les autres devant Dieu, et pour se sentir vivre, il lui faut se percevoir comme en dehors de la destinée commune. L'insécurité n'a plus de sens pour lui : il a mis Dieu à son service, il l'a satellisé, à portée de son orgueil.

Désormais toute son assurance repose sur ses œuvres : ses comptes pour le Temple sont en règle, et, une fois la dîme versée, il se sent tranquille pour user de tout le reste comme bon lui semble. Par ailleurs ses jeûnes réguliers le rassurent sur la possession qu'il a de lui-même et le confirment dans son impression d'équilibre et de réussite.

Le plus étrange est que de tout cela il parvienne à faire une prière : "Je te rends grâces, Seigneur, d'être l'unique à tes yeux ; je te rends grâces de m'avoir élu pour être à part ; je te rends grâces de n'être pas comme le reste des hommes ; je te rends grâces de la lumière que tu me donnes sur moi-même et sur les autres."

Non content d'introduire dans sa prière tous ses mépris, toutes ses agressivités, non content d'écraser les autres pour se pousser devant Dieu au premier rang, il va s'imaginer que Dieu l'aurait choisi en excluant les autres, comme si le cœur de Dieu était trop petit pour aimer aux dimensions du monde.

Le publicain, lui, ne vient pas au Temple pour trouver en Dieu un témoin de sa réussite, mais un confident de sa misère. Il se tient à distance, comme un homme qui n'aurait pas droit à l'amour de Dieu ; et pourtant il est venu car il sait que l'amour n'est pas une question de droit.

Il n'ose pas lever les yeux, de peur de rencontrer un regard qu'il ne saurait supporter, le regard de Dieu, chargé d'amour, mais d'un amour tellement immérité ! Il ne songe même pas à se comparer aux autres, car une première comparaison déjà l'a rendu humble, celle de sa vie lourde et lâche, fausse et mesquine, avec ce qu'il pressent de la bonté de Dieu.

Il a rejoint le sens du péché, qui ne consiste pas à nous imaginer criminel ni à nous charger de misères plus ou moins artificielles, mais à reconnaître humblement, avec une sorte d'évidence, combien le mensonge s'est installé dans nos vies, combien nous avons perdu la hâte du Royaume et combien peu nous savons aimer.

C'est alors que peut monter la vraie prière, celle qui traverse le dépit orgueilleux et exprime la vraie conversion, l'authentique retournement vers Dieu : "Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !"

"Qui s'abaisse sera élevé" : c'est le Seigneur qui l'a promis, et c'est lui qui le fera. Il saura restaurer dans son amour et élever tout près de lui, sur la même croix et dans la même gloire, ceux qui pour lui se seront abaissés dans l'humilité, la douceur et le service.

C'est notre espérance, et ce sera son œuvre. 

Si quelqu’un veut marcher à ma suite... »

(Mt 16, 24-28

 

« En ce temps-là, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venir dans son Règne. »

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Notre monde a la fièvre, comme un adolescent qui grandit trop vite ; et cette fièvre est tellement contagieuse que nous-mêmes, nous nous sentons tendus, tiraillés, écartelés, en proie à mille questions, et parfois travaillés par le doute.

La réponse du Christ à notre inquiétude et à notre instabilité, cette réponse que l'Église nous transmet dans la liturgie d'aujourd'hui, n'est pas un message de facilité ni un aval donné à nos essais de compromis, c'est le rappel, parfois véhément, de la grande loi de la rédemption : Il fallait que le Christ passât par la souffrance, il faut que le chrétien se charge de sa propre croix.

La passion pour le Messie de Dieu, c'était un scandale pour les Juifs, comme ce sera plus tard une folie pour les Grecs qui entendront le message chrétien ; et Pierre, qui vient de faire une si belle profession de foi : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant !", méconnaît aussitôt la portée de son allégeance au Christ. Souffrir, mourir condamné par les du peuple ? Dieu t'en garde, Seigneur, cela ne t'arrivera pas !

En travers du dessein de Dieu, déroutant, décevant, et face aux yeux des hommes, Pierre place un projet humain, une visée de réussite et de puissance. Mais cela, c'est une réédition de la Tentation du désert, et Jésus le repousse avec la même vigueur que les tentations : "Arrière, Satan (arrière, ennemi, toi qui contrecarres le projet de Dieu), tes pensées ne sont pas celles de Dieu, et tu mesures tout à ton désir d'homme.

Un Messie qui souffre, un Maître qui fait le service, un Seigneur qui lave les pieds, un Sauveur qui meurt pour faire revivre, cela n'a pas de sens et c'est gênant.

C'est gênant parce que cela nous compromet à notre tour, et Jésus l'explique aussitôt à ses disciples, c'est-à-dire les Apôtres et tous ceux qui l'écoutaient à ce moment-là.

"Si quelqu'un veut marcher à ma suite, qu'il se renonce !". Si quelqu'un s'engage sérieusement, positivement, à cheminer derrière moi, qu'il sache bien en quoi consiste cette vie de disciple. Il faudra d'abord qu'il se renie lui-même, car celui qui veut suivre Jésus a trouvé un nouveau centre à sa vie, il n'est plus à lui-même sa propre raison d'être, il ne vit plus à son compte, il obéit à une autre volonté et doit modeler son destin sur celui du Messie, et reproduire l'image souffrante et glorieuse du Fils bien-aimé.

Tout en restant lui-même, il ne s'appartient plus, et réalise ce que nous demanderons dans un instant, dans la prière eucharistique : "[afin] que notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à lui, qui est mort et ressuscité pour nous" Si quelqu'un veut marcher à la suite du Messie, qu'il prenne sa croix, non pas la croix de bois de Jésus au Golgotha, mais sa croix personnelle : déficiences du corps, désarrois de l'intelligence, raz-de-marée de la vie du cœur, c'est-à-dire tout ce qui fait de lui un "crucifié pour le monde", tout ce qui humainement le paralyse, tout ce qui le compromet dans le monde avec le Nazaréen.

Car la croix qui nous attend, c'est la croix des prophètes, nous tous que le Père a appelés, consacrés par l'Esprit et envoyés dans le monde pour porter aux pauvres un Évangile de pauvres.  Nous avons été trop séduits par Dieu pour pouvoir maintenant l'abandonner ; d'ailleurs, à qui irions-nous pour trouver des paroles de vie éternelle ?

Dieu a été le plus fort dans notre vie (cf. Jérémie), et nous voilà désormais conquis, malgré nos réticences, heureux d'être vaincus, puisque c'est Dieu qui triomphe, "enchaînés en esprit", et pourtant filialement libres, liés à celui qui nous appelle, pour une vie à deux qui éclora un jour en vie éternelle. Mais, participants de la vie de Dieu, nous sommes devenus, par l'Esprit Saint, porteurs de sa parole, et là surtout la croix nous attend.

Si nous pouvions nous modeler sur le monde présent, suivre sans contrainte sa nonchalance morale, épouser sans critique ses modes intellectuelles, le monde nous accueillerait volontiers, car, ayant tué en nous le ferment de l'Évangile, nous ne serions plus dangereux pour personne ; mais voilà que la parole plantée en nous depuis notre vocation, et enfermée en nous comme un feu dévorant, nous oblige, pour construire l'édifice spirituel, à dénoncer les violences qui sévissent et certaines ruines qui se préparent, à discerner jour après jour, pour nous et pour le monde, quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait.

C'est alors que, à l'imitation du Christ, nous devenons gênants pour le monde, et que nous sentons parfois son ironie terrible sur le message que nous portons, sur le mode de vie que nous préférons, sur la croix de Jésus dont nous portons le signe, sur les Béatitudes qui restent l'axe de notre cheminement.

N'allons pas dire, par lâcheté ou par lassitude "Je ne penserai plus à Lui, je vais cesser de parler en son nom", n'allons pas choisir de nous taire, car le Christ lui-même nous a mis en garde contre tout étonnement : "Ne vous étonnez pas si le monde vous hait, car il m'a haï avant vous."

Telle est la vie qui nous attend à la suite du Christ : Une existence de fils et de filles de Dieu, tout entière traversée par le mystère pascal de mort et de vie, une existence de prophètes vouée au mystère pentecostal de l'Église.

Cette vie de baptisés confirmés par l'Esprit, cette vie si riche des dons du Christ, Dieu nous la fait vivre en habits de tous les jours, dans le réalisme très humble de l'Évangile, et c'est elle qu'il nous faut offrir une fois de plus ce matin, en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu ; c'est là le culte spirituel que tous ensemble nous allons lui rendre.

Une mesure bien pleine
Zachée dans le sycomore
Vous me cherchez parce que vous avez mangé des pains

« Soyez miséricordieux »

(Lc 6, 27-38)

 

« En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. » 

 

Dans son Discours sur la Montagne, aussitôt après les Béatitudes, Jésus nous livre tout un enseignement sur l'amour-charité, et spécialement sur l'amour des ennemis : ennemis personnels ou ennemis du groupe auquel on appartient. Et il précise ce qu'il entend par aimer ses ennemis. Cela va très loin, et pourtant cela tient en trois mots : Faire du bien à ceux qui nous haïssent, souhaiter du bien à ceux qui nous maudissent, prier pour ceux qui nous maltraitent, c'est-à-dire parler d'eux avec Dieu qui les aime eux aussi, qui a pour eux des trésors de patience et toujours un petit bout de soleil.

Puis Jésus, après ces consignes sur l'amour sans frontières, en vient à parler de la non-violence, de la joue qu'il faut tendre, du manteau qu'il faut laisser prendre et des deux mille pas qu'il faut faire, c'est-à-dire du quart d'heure qu'il faut accepter de perdre avec un homme dans la joie ou la peine, avec ses frères en communauté, sous le regard de Jésus.

Là les difficultés redoublent. Volontiers nous dirions : "Ce n'est pas réaliste !", et nous sommes tentés de repasser après Jésus pour préciser, mettre en place ou relativiser son message paradoxal. Instinctivement nous nuançons : "Cela dépend des circonstances... Il faut voir dans chaque cas !". Et c'est vrai en un sens ; mais Jésus ne vend pas son Évangile au détail ni au rabais : c'est un nouveau style de vie qu'il veut inculquer, un nouveau regard sur la vie, les événements, les personnes et sur Dieu même.

Il s'agit en effet d'inverser nos réflexes ordinaires : réflexe du talion, qui nous fait rendre le mal pour le mal, la violence pour un oubli, l'agressivité pour un manque d'égards ; réflexe de l'égalitarisme, du donnant-donnant, du "rien pour rien", qui nous fait guetter en tout la récompense immédiate et mesurable.

Face au précepte que nous a laissé le Seigneur, nous prenons conscience du peu de place que tient dans notre cœur la gratuité, la vraie, celle qui ne sera connue de personne hormis Dieu.

L'amour vrai consiste à faire vivre. C'est toujours une initiative, un amour qui commence le premier. Et c'est bien ainsi d'ailleurs que procède l'amour de Dieu, comme le souligne Jésus : "Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants".

Jésus ose parler de récompense. Mais où est, alors, la gratuité ? La gratuité demeure entière, car la récompense dont parle Jésus n'est pas un nouvel avoir, mais un supplément d'être. Nous ne pouvons pas ne pas la vouloir de toutes nos forces, car elle consiste à "être fils du Très-Haut". Plus nous aimons Dieu pour lui-même, et plus nous sommes confortés dans notre autonomie de fils. Plus nous aimons nos frères pour eux-mêmes, plus grandit en nous la ressemblance à notre Père. Cette ressemblance n'est pas une récompense à laquelle nous pourrions renoncer, mais le sens et le but de notre vie sur terre. C'est même l'amorce en nous de la vie éternelle.

« Le Fils de l’homme est venu chercher

et sauver ce qui était perdu »

(Lc 19, 1-10)

 

« En ce temps-là, entré dans la ville de Jéricho, Jésus la traversait. Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et c’était quelqu’un de riche. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui allait passer par là. Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur. » Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : « Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Alors Jésus dit à son sujet : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

​

1) "Aujourd'hui le salut est venu pour cette maison."

C'est ce que Jésus veut pouvoir dire chaque soir de notre maison fraternelle. C'est ce qu'il voudrait dire de chacun de nous lorsque, à complies, nous lui offrons notre journée.

Le secret de cette réussite spirituelle, c'est à Zachée, le publicain, que nous pouvons le demander.

Le salut est venu dans la maison de Zachée parce que d'abord Zachée était vraiment en quête de son Seigneur :

"Il cherchait à voir qui était Jésus." Au milieu des soucis de son métier, fatigué du mépris des autres, dégoûté de tant d'années perdues à frauder la justice, Zachée n'avait plus qu'une idée, qu'un visage, qu'un nom en tête : Jésus. Devant Jésus, il pourrait s'expliquer ; avec Jésus il pourrait recommencer sa vie.

Notre misère à nous, trop souvent, c'est d'avoir dit adieu aux recommencements, et de traîner notre vie à mi pente, en nous résignant à des compromis.

Un autre secret de Zachée, c'est de savoir reconnaître ses limites, et d'agir en conséquence. Avec sa petite taille, il aurait pu, perdu dans la foule, se tenir pour battu. Mais non : l'espérance vive le rend inventif. Qu'importe le handicap : pour voir Jésus, il trouvera bien une astuce !

Transformer nos impuissances en désir de la rencontre, quelle force ce serait pour nous ! Mais nous avons peur d'être seuls à grimper sur le sycomore, d'être petits aux yeux de tous, et c'est cela qui nous paralyse.

Heureux Zachée, qui ignore ces petitesses du cœur, et qui court là où sûrement Jésus passera : au rendez‑vous de la parole. Là encore il est exemplaire, parce qu'il ne veut pas laisser passer l'heure de Dieu. Dans son arbre, tout essoufflé, il guette, il attend, il espère. Faut-il appeler ? Faut-il faire signe ? Jésus va-t-il seulement l'apercevoir ? Trop tard pour réfléchir : voilà Zachée pris au piège de son espérance. Jésus est arrivé : de lui-même il lève les yeux : "Zachée, descends vite ! il me faut aujourd'hui demeurer dans ta maison !"

Il ne faut pas grand-chose pour que Jésus s'invite chez nous ; il lui suffit de voir qu'il est attendu, il lui suffit de rencontrer notre regard, et d'y lire, avec notre détresse, une petite lueur de foi et de sincérité.

Le passé est lourd ? le présent douloureux, l'avenir incertain ? Et après ! Tout cela est l'affaire de celui qui peut tout ! Ce qui importe, jour après jour, et Zachée l'avait bien saisi ce jour-là, c'est d'accueillir Jésus avec joie.

Où est-elle, l'allégresse limpide de notre jeunesse chrétienne ? Où est-elle, la fraîcheur de nos vœux ? Où s'en va-t-il, au long des mois, l'enthousiasme des communautés réunies par Jésus pour vivre devant Dieu à la louange de sa gloire ?

Puisque déjà nous avons tout, de quel autre trésor sommes-nous en quête, qui nous ronge ainsi le cœur et fait de nous des êtres tristes ?

Puisque, aujourd'hui encore, Jésus s'invite parmi nous dans sa maison de prière, puisqu'il nous donne part à son Corps et à son Sang, offrons-lui, avec notre volonté de conversion, toutes les maladresses de notre cœur. Puisqu'il vient chercher et sauver en nous ce qui déjà était perdu, et que pour lui nos misères n'ont jamais été un secret, allons au bout de la confiance : offrons-lui nos mains ouvertes, pour qu'il y dépose sa joie.

 

2) Chercher Jésus, rencontrer Jésus : depuis quelques heures Zachée n'avait plus en tête que cette seule idée, que cette seule passion. Jésus allait passer : c'était la chance de sa vie!

Bien des obstacles se dressaient entre lui et Jésus de Nazareth. D'abord son passé de collecteur d'impôts au service de l'occupant ; puis la réputation qu'il s'était faite de ne pas s'embarrasser de scrupules ; enfin et surtout, sa petite taille, qui le désavantageait dans la foule compacte.

Mais il voulait voir Jésus, et rien ne l'arrêterait, ni le poids du passé, ni le handicap du présent. Et Zachée met son intelligence au service de sa recherche : il y a pour Jésus un point de passage obligé; c'est là que Zachée l'attendra, grimpé dans un sycomore pour échapper à la pression de la foule, le cœur battant d'espérance, et tout étonné de sa propre audace. C'est bien calculé; mais Jésus va dépasser tous les calculs et toutes les espérances ; Zachée voulait le voir ? Jésus, de lui-même, lève les yeux vers l'arbre, avant tout appel, et c'est lui qui prend l'initiative : "Zachée, descends vite, car il me faut aujourd'hui demeurer chez toi !"

Étrange parole, en vérité : "aujourd'hui", c'est le mot de l'éphémère; "demeurer", c'est le verbe de l'éternité et de la réciprocité parfaite. C'est bien en effet un amour éternel qui, ce jour-là, a fait irruption dans l'aujourd'hui de Zachée ; et en lui il n'y avait plus de place que pour la joie. Mais c'était une joie forte, capable de replacer d'un coup tout son être dans la lumière. Cette joie, entrée chez lui en même temps que Jésus, lui permettait d'affronter sans angoisse la vérité que trop longtemps il avait fuie. Plus que jamais, Zachée mesurait sa misère, mais pour la première fois il comprenait que l'amour, dans sa vie, pourrait être vainqueur.

Dans sa joie de converti, tout de suite il a pensé aux pauvres, encore plus pressé de partager que de revenir sur ses fraudes. Parce que Jésus était chez lui, il se sentait soudain tout proche de bien des gens que jusqu'alors il avait croisés sans aucune pitié ou dont il ne supportait pas le mépris. Et ce revirement, ce retournement du cœur, était en lui l'œuvre de Jésus. Zachée sentait bien qu'il fallait en venir là, et c'est effectivement ce moment de réalisme que Jésus attendait pour prononcer solennellement la parole libératrice : "Aujourd'hui cette maison a reçu le salut, parce que celui-là aussi est un fils d'Abraham !

« Travaillez pour la nourriture

qui demeure jusque

dans la vie éternelle »

(Jn 6, 22-29)

 

« Jésus avait rassasié cinq mille hommes, et ses disciples l’avaient vu marcher sur la mer. Le lendemain, la foule restée sur l’autre rive se rendit compte qu’il n’y avait eu là qu’une seule barque, et que Jésus n’y était pas monté avec ses disciples, qui étaient partis sans lui. Cependant, d’autres barques, venant de Tibériade, étaient arrivées près de l’endroit où l’on avait mangé le pain après que le Seigneur eut rendu grâce. Quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. » Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » 

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 Jésus vient de nourrir cinq mille personnes dans le désert avec cinq pains d'orge, le casse-croûte d'un gamin prévoyant. Le lendemain, les foules se mettent à sa recherche, et Jésus, une fois rejoint, entame un dialogue dont saint Jean a retenu trois thèmes principaux :

  • Les signes opérés par Jésus,

  • l'œuvre de Dieu,

  • le pain venu du ciel.

C'est à dessein que saint Jean emploie le mot "signe" à propos des miracles de Jésus.

Pour saint Jean, le but des miracles de Jésus est de révéler qui il est : l'Envoyé de Dieu, le Fils de Dieu prononçant sur terre les paroles de Dieu même et accomplissant son œuvre parmi les hommes. Ainsi les miracles pointent toujours directement sur la personne de Jésus ; ils provoquent les hommes à croire, à espérer, en Jésus Fils de Dieu ; ils appellent les hommes à se tourner vers lui pour être sauvés, et c'est pourquoi Jean les appelle des signes, des actes qui "font signe".

Face aux signes accomplis par Jésus, ses contemporains réagissent très différemment.

Certains, sans contester les guérisons opérées par lui, refusent absolument tout acte de foi en sa personne. C'est le cas du grand prêtre Caïphe.

D'autres en restent trop au stade de l'étonnement. Ils voient dans les signes du Nazaréen uniquement des prodiges, et ils restent à mi-chemin de la vraie foi. Ils admettent bien que Dieu a donné à ce Jésus des pouvoirs extraordinaires ; mais ils voient en lui un prophète, rien de plus. C'est le cas de la plupart des gens qui voulaient rattraper Jésus le lendemain de la multiplication des pains, et Jésus le leur dit clairement : "Vous me cherchez, non parce que vous avez [vraiment] vu [et compris] mes signes, non parce que je vous pose une question vitale, mais parce que vous avez mangé du pain à satiété".

Il y a enfin la réaction de ceux et de celles qui perçoivent la portée des signes du Maître. Ils parviennent à croire en Jésus, à reconnaître qui il est:

  • non seulement un rabbi dont la parole bouleverse les cœurs,

  • non seulement un homme qui réalise des prodiges étonnants,

  • mais celui qui vit une relation unique avec Dieu qui l'a envoyé, celui qui peut dire : "Le Père et moi, nous sommes un", celui qui manifeste sur terre la gloire même de Dieu, parce qu'il rend visibles :

    • sa sainteté,

    • sa puissance

    • et son amour.

Le deuxième thème du dialogue, les œuvres de Dieu, est en prise directe sur cette théologie des signes de Jésus.

"Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ?", demandent les gens. Que faut-il entreprendre ? que faut-il organiser ? quelles œuvres faut-il aligner ? Et Jésus répond : "L'œuvre de Dieu, c'est de croire en celui qu'il a envoyé." Croire est une œuvre ; c'est même la seule œuvre importante, car si la foi en Jésus est enracinée dans le cœur d'un homme, les œuvres suivront.

Croire, c'est "l'œuvre de Dieu", d'abord parce que c'est l'œuvre de base que Dieu attend de nous, et ensuite parce que c'est se soumettre à l'œuvre de Dieu, c'est entrer dans le travail qu'il accomplit par son Christ.

Nous voilà donc ramenés à la personne de Jésus et à son mystère. Jésus, pour nous, n'est pas seulement un splendide idéal d'homme donné à ses frères, pas seulement le Galiléen dont les paraboles continuent de nous émouvoir : il est celui que le Père a "marqué de son sceau", le seul qui puisse nous donner "la nourriture qui demeure en vie éternelle", le seul qui puisse nous faire traverser la mort, parce qu'il est Fils, un avec le Père, et avec lui maître de la vie.

Mais nous sommes lents à faire confiance, et nous gardons toujours au cœur un reste de soupçon à l'égard de ce qui vient de Dieu, comme les auditeurs de Jésus qui lui demandent des assurances supplémentaires : "Quel signe fais-tu, pour que nous le voyions et puissions te croire ?" Dans le désert, Moïse donnait la manne tous les jours pour le peuple tout entier. Voilà des gestes bien tangibles, qui accréditaient sa mission ! "Mais toi, quelle est ton œuvre ? Si tu te proclames l'envoyé de Dieu, fais d'abord aussi bien que Moïse !"

Jésus, calmement, explique la portée exacte du texte de l'Exode. "Vous vous référez à Moïse ; vous dites : Moïse, lui, nous a donné le pain venu du ciel !" - "Erreur : ce n'était pas Moïse ; c'est Dieu, c'est mon Père qui vous le donnait. Et non seulement mon Père vous a donné, mais il vous donne aujourd'hui le pain du ciel. Encore faut-il que vous le reconnaissiez : le pain de Dieu, celui qui seul peut donner la vie au monde, c'est moi !"

Jésus est pain de vie, à un premier niveau, parce que sa parole nourrit notre foi et notre espérance, et parce qu'il est à lui seul la révélation du Père, qui comble en l'homme toute soif d'aimer et d'être aimé.

Il est pain de vie, à un autre niveau, parce qu'il se donne en nourriture dans l'Eucharistie sous les signes inattendus du pain et du vin.

Nous sommes bien loin du pain à satiété, bien loin de la manne périssable. Les gens de Galilée réclamaient de Jésus des prodiges plus grands et plus durables que ceux de Moïse. Jésus ne répond pas au niveau du prodige: il laisse à ses disciples les signes nouveaux de la nouvelle Alliance, où déjà tout est donné pour ceux qui acceptent de croire.

À notre tour nous attendons parfois du Christ des assurances immédiates. Nous voudrions qu'il soit facile à rejoindre par l'intelligence et par le cœur, qu'il nous apporte des évidences et des joies, qu'il épouse notre style et prouve avec éclat son efficacité au plan des nourritures ou des réussites terrestres.

Mais Jésus n'accepte pas les surenchères que nous lui proposons ; il ne veut pas emporter notre adhésion par une escalade dans le prodigieux. Les signes nouveaux qu'il nous propose sont tirés de notre vie de tous les jours. Il prend du pain sur nos tables, et il dit : "Ceci est mon corps livré pour vous. Je suis le Pain de la vie. L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en moi".

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